Les marines peuvent-elles les éviter ?
Malgré le nombre de travaux scientifiques consacrés au sujet, il est flagrant que l’utilisation des sonars militaires continue à causer des échouements mortels, en particulier (mais pas seulement) de ziphius et mésoplodons. D’où cette question: ces accidents sont-ils inévitables ?
Tout comme les accidents automobiles, les accidents de sonar sont inévitables. Simplement, les accidents de la route sont peu fréquents (par rapport à la circulation) car on a imposé aux conducteurs des règles strictes, comme celle par exemple de ne pas rouler à 100 km/h dans un centre ville. Les mortalités infligées aux cétacés par les sonars sont beaucoup, beaucoup, plus fréquentes que les accidents automobiles, relativement à leur utilisation. Pourquoi ? D’abord parce qu’on ne sait pas exactement où sont tous les ‘centres villes’ des cétacés, ensuite parce qu’il n’y a pas de règles strictes applicables à tous les ‘conducteurs de sonar’.
Certaines marines appliquent, lors de leurs exercices et entraînements, leurs propres règles de bonne conduite, appelées ‘protocoles de mitigation’ ; d’autres n’en appliquent pas. Les règles de bonne conduite dépendent de l’éthique adoptée par une marine vis-à-vis de la protection de la faune, avec pour arbitre l’opinion publique du pays considéré.
Les sonars de certaines marines sont des Twingo de 50 chevaux, d’autres utilisent des Chevrolet de 500 chevaux: la puissance de certains sonars anti-sous-marins est comprise entre 220 et 225 décibels (niveau de source à 1m), quand d’autres dépassent 235 décibels.
Quel est le but recherché par cette ‘mitigation’ du risque ? Pour l’US Navy (cf tableau) il s’agit de minimiser le risque de ‘surdité partielle permanente’ (PTS), et a fortiori, un risque de mortalité directe. Pour d’autres marines, le but recherché par la mitigation peut être variable selon la situation.
Quels sont les critères de mitigation sur lesquels sont basées les règles de bonne conduite de chaque marine ?
La sélection de zone d’émissions: plus ou moins stricte selon les marines. Certaines ont pour politique de ne pas émettre au sonar dans une zone marine protégée (comme le sanctuaire PELAGOS) ou à proximité d’un talus continental abrupt, d’autres ne considèrent que très peu de zones d’exclusion (US Navy).
La limitation de puissance du sonar: certaines marines ont pour politique de modérer la puissance du sonar dans des habitats marins reconnus comme vulnérables (Royal Navy), d’autres considèrent que toute limitation a priori est contraire à l’efficacité de leur entraînement.
La limitation du nombre de sonars simultanément actifs: certaines marines (US Navy) excluent cette mesure, pour un prétexte d’efficacité de leur ‘lutte ASM’, d’autres l’appliquent au cas par cas (Royal Navy).
La prise en compte de la propagation sonore: la propagation sonore dans l’eau est très variable. Elle est prise en compte par les opérateurs sonars pour optimiser les performances de leurs systèmes. Mais certaines conditions multiplient le risque d’accident pour les cétacés. Certaines marines tiennent compte de cet effet aggravant pour moduler l’utilisation de leurs sonars, d’autres non.
La détectabilité des cétacés: la nuit ou par mer agitée, les cétacés sont pas ou peu détectables par la vigie. Il est possible de ne pas augmenter le risque d’accident en s’abstenant d’utiliser le sonar par mauvaises conditions de visibilité, ou en diminuant sa puissance.
Le ‘ramp-up’ est une technique d’augmentation progressive de la puissance des sonars au démarrage, visant à avertir les cétacés et à leur permettre de s’éloigner ou d’interrompre leur plongée de manière maîtrisée. Certaines marines l’excluent (US Navy), d’autres l’utilisent.
La vigie spécifique: certaines marines (US Navy par ex.) demandent aux navires opérateurs de doubler la vigie visuelle, en affectant à cette fonction du personnel formé à la détection des cétacés.
Le monitoring acoustique: l’écoute sous-marine avant (éventuellement pendant) une session d’émission de sonar est préconisée par toutes les marines. Il reste à vérifier que les moyens techniques à leur disposition leur permettent de détecter les émissions à très haute fréquence des ziphiidés, principales victimes des sonars.
La baisse de niveau en cas de détection de cétacé proche: toutes les marines prévoient de baisser la puissance de leur sonar si un cétacé est détecté en deçà d’une distance limite. Néanmoins, la valeur de cette distance ou la manière de la déterminer n’est généralement pas spécifiée.
L’arrêt du sonar en cas de détection de cétacé très proche: toutes les marines prévoient de couper leur sonar si un cétacé est détecté en deçà d’une distance critique. La valeur de cette distance ou la manière de la déterminer n’est pas toujours spécifiée.
L’utilisation d’un logiciel spécifique: celui-ci combine les différentes informations environnementales pour donner un pronostic du risque pour les cétacés et des pistes pour minimiser ce risque. A notre connaissance, seules les marines britanniques et néerlandaises utilisent ce type de logiciel d’aide à la mitigation.
Ce récapitulatif nous indique que même parmi les marines occidentales, dont certaines se veulent exemplaires au niveau du risque environnemental, la politique de prévention du risque de mortalité des cétacés ne suit pas les mêmes pistes.
Sur la base des documents disponibles, la méthode suivie par le Royaume-Uni, pour gérer les risques environnementaux liés à l’emploi de sonars, est particulièrement avancée. En témoigne par exemple le document de gestion d’impact (disponible sur internet) concernant l’exercice Saxon Warrior de 2017.
D’autres marines communiquent très peu sur leur façon de minimiser les risques lorsqu’elles emploient des sonars puissants.
Et au cas où la mitigation échouerait, ce qui arrive trop fréquemment, une bonne précaution est de prévenir le réseau d’échouage local lorsqu’un entraînement ou un exercice de sonar est prévu: d’éventuels cétacés échoués vivants peuvent être secourus. Quant aux morts, une nécropsie rapide permettra peut-être d’en savoir plus sur le processus exact de la mortalité, surtout en cas de collaboration efficace entre scientifiques et marins.
Cette sage précaution est d’ailleurs explicitement énoncée par, entre autres, les Parties Contractantes à l’Accobams (Rapport 2010), représentant 23 pays péri-méditerranéens, mais ne semble pas pour autant réellement appliquée.
Nous complèterons bientôt cette série d’articles par un court exposé sur les sonars anti-sous-marins déployés dans les mers européennes … car un cétologue averti en vaut deux !
Alexandre et cetaces.org