Vous avez dit écotourisme ?
Qui n’a jamais rêvé de nager avec les baleines ou de côtoyer les dauphins en apnée ? Avant, ceux qui en avaient l’occasion étaient des privilégiés. Aujourd’hui, avec le développement de l’écotourisme c’est chose facile ! L’écotourisme se dit être du tourisme durable, centré sur la découverte de la nature tout en la respectant. Cette activité se développe aussi bien dans les écosystèmes terrestres que marins. Et les mammifères marins sont des animaux très demandés ! Mais ce tourisme qui se dit « vert » respecte-t-il les espèces ciblées, sans les déranger ou empiéter sur leur espace de vie ?
Zoom sur deux études qui nous en disent un petit peu plus sur le sujet …
La première étude se porte sur l’impact de l’écotourisme sur les baleines à bosse à Tonga, en Australie (Kessler et al., 2013). Tonga est un des 3 seuls endroits d’écotourisme au monde où l’on peut nager avec des baleines à bosse. C’est dire s’il doit être très fréquenté ! A noter aussi que la sous-population de baleines à bosse d’Océanie, comptant entre 1500 et 2000 individus, est en situation de danger. Les auteurs s’intéressent donc aux pratiques de l’écotourisme sur cette espèce. Ils comparent l’impact d’une approche par bateau seul et une approche par des plongeurs/nageurs dans le but de mieux encadrer l’activité d’écotourisme autour des baleines à bosse. Mais, l’approche de ces animaux, si elle est mal gérée et encadrée, peut engendrer un dérangement, plus ou moins lourd de conséquences sur les individus et les populations.
Le dérangement d’un cétacé se traduit par l’augmentation du temps de plongée, de la vitesse de déplacement ou encore du temps de transit au détriment du temps de prospection alimentaire, une augmentation des activités en surface, ou encore la modification de la trajectoire de l’animal ou du groupe. Quatre types de comportements ont été testés pour cette étude : une approche standard par bateau (contrôle), une approche de nageurs calmes restant en surface, une approche de nageurs bruyants et inexpérimentés en surface, et une approche tranquille en surface se terminant par une apnée calme. Il en ressort qu’il n’y a pas de différences significatives entre l’approche d’un bateau et les différents types d’approches calmes, que ce soit en nage ou en apnée.
Par contre, il a été observé que lors d’approches bruyantes, les baleines quittaient prématurément la zone d’observation, montrant le dérangement engendré par ce type d’approche.
Le « whale watching » en bateau est souvent considéré comme une approche tolérable des populations de baleines. Cette étude suggère qu’il peut en être de même pour une approche dans l’eau des nageurs, à condition que le comportement des touristes soit bien encadré et contrôlé. Les auteurs suggèrent donc, afin de minimiser le dérangement des baleines à bosse, que l’approche de proximité (par mise à l’eau des touristes) se fasse de manière lente et calme, et à plus de 30 mètres de l’animal. Ils soulignent aussi l’importance de former les guides et les tours opérateurs à ce sujet.
La seconde étude porte justement sur l’efficacité d’un sanctuaire marin dans la Baie de Port Philippe, en Australie également (Howes et al., 2012). Le sanctuaire a pour objectif d’encadrer les activités d’écotourisme sur le dauphin Burrunan (Tursiops australis sp.nov. ; nouvelle espèce décrite en 2011). Ce sanctuaire de 2000 km carrés est géré par la » Wildlife (whales) Regulation ». Trois licences d’écotourisme ont été délivrées pour exercer dans cette zone. Près de 12 000 touristes ont recours à cette activité, condensée sur 6 mois dans le sanctuaire. Le sanctuaire est défini comme une zone refuge pour les dauphins et a pour but de limiter leurs interactions avec les activités anthropiques. Des règles ont été instaurées pour contrôler l’approche des groupes de dauphins afin de limiter le dérangement occasionné par l’activité d’écotourisme.
En voici les règles principales : les embarcations ne peuvent approcher un groupe de dauphins à moins de 200 mètres et une zone tampon de 150 mètres supplémentaire est conseillée (Figure 1), la méthode d’approche ne doit pas gêner le groupe (approche en parallèle du groupe de dauphin sans couper leur trajectoire), et pas d’interaction avec un groupe où des jeunes sont observés.
Figure 1 : Caractérisation des zones d’approche autorisées et interdites autour d’un cétacé (Howes et al., 2012).
Les scientifiques ont embarqué à bord des bateaux d’écotourisme pour observer leurs comportements en dehors et dans le sanctuaire. Il était attendu que les comportements devraient être bien différents dans et hors du sanctuaire, avec un meilleure respect des règles dans la zone de protection. Mais les auteurs révèlent tout autre chose : toutes les approches observées dans le sanctuaire se faisaient dans la seconde zone d’approche interdite d’un cétacé, soit entre 50 et 100 m des animaux (Figure 1) !
L’approche la plus commune dans le sanctuaire est « illégale » (l’embarcation s’approche du groupe en entravant leur trajectoire par exemple). Le taux de rencontre de groupes avec jeunes est de 26,5% hors du sanctuaire et de 60% dans le sanctuaire, alors que la réglementation pose comme conditions de ne pas approcher de groupes avec des jeunes.
Au vu des résultats de cette étude, le sanctuaire de la Baie de Port Philippe est-il vraiment une zone refuge pour les dauphins Burrunan face aux activités anthropiques ? L’intérêt de cette zone censée protéger est compromis à cause du comportement irrespectueux des professionnels de l’écotourisme vis-à-vis des règles de bonne conduite.
Ces deux études montrent que l’écotourisme peut être un tourisme vert et respectueux de la nature, s’il doit être très contrôlé et bien encadré pour éviter les dérives des pratiques, qui pourraient avoir un effet inverse à celui recherché… Et avant toute chose, il paraît important de bien définir les zones d’approche tolérées par les animaux afin de limiter au maximum leur dérangement.
Et peut être faut-il méditer sur cette citation d’Hubert Reeves (Patience dans l’azur) : » Observer, c’est perturber. » …
Références
Howes L., C. Scarpaci and E.C.M. Parsons, 2012. Ineffectiveness of a marine sanctuary zone to protect burrunan dolphins (Tursiops australis sp.nov.) from a commercial tourism in Port Philip Bay, Australia. Journal of ecotourism. Vol.11, No3, 188-201.
Kessler M., R Harcourt and G. Heller, 2013. Swimming with whales in Tonga: sustainable use or threatening process? Marine Policy, 39, 314-316.
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