La protection des cétacés lors de l’utilisation des sonars

Comme il est établi que l’utilisation de sonars militaires peut dans certains cas causer la perte de cétacés, en particulier de ziphiidés, les marines ont été amenées à mettre en oeuvre des précautions d’utilisation de manière (1) à ne pas causer de tort à la faune marine, et (2) à ne pas se trouver en porte-à-faux vis-à-vis d’une opinion publique, occidentale, alertée sur ce sujet depuis plus d’une décennie. Ces précautions d’emploi sont définies par le vocable « mitigation », dans le cas des sonars comme des prospections sismiques.

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Il y a deux zones de reproduction du ziphius dans le sanctuaire Pelagos.

Mis à part aux Etats-Unis où le débat sur l’efficacité des mesures de mitigation s’est retrouvé sur la place publique (il est vrai que l’US Navy est impliquée dans la plupart des accidents connus et possède une flotte de navires et d’hélicoptères anti-sous-marins sans égale), et en Australie, on a de la peine à trouver des documents publics sur la nature des mesures de mitigation mises en oeuvre par les marines lors d’émissions sonar.

Destroyer U.S. Navy
Ce destroyer de l’U.S. Navy est équipé d’un puissant sonar de coque

Ce constat est valable pour les principales marines européennes, à commencer par la Royal Navy britannique, la Marine Nationale française, toutes deux comptant un grand nombre de navires munis de sonars, etc … Dolman et al. (2009) ont fait un point sur les mesures de mitigation connues en s’appuyant sur des documents publics variés: les deux seules mesures qui semblent faire l’unanimité parmi les marines sont: (1) l’utilisation de la veille visuelle pour détecter les cétacés, et (2) la définition d’une zone d’exclusion des cétacés autour du sonar, zone à l’intérieur de laquelle des actions sont prévues pour tenter d’éviter un accident. Ces actions peuvent être la baisse de la puissance du sonar, voire même l’interruption de l’émission.

Les frégates ASM de la Royal Navy utilisent un sonar remorqué
Les frégates ASM de la Royal Navy utilisent un sonar remorqué (ici le Kent)

En revanche, d’après le même document, il règne une grande hétérogénéité dans la prise en compte d’autres paramètres essentiels pour le risque d’accidents, tels que: la propagation réelle du son, l’adoption de techniques de ramp-up, la surveillance acoustique passive, l’influence de l’état de la mer sur la détection visuelle, etc. Pour ce qui est de l’US Navy, par exemple, les mesures de mitigation semblent variables selon la zone considérée. Ainsi, pour la zone sud-Californie (périmètre SOCAL), l’émission du sonar ne doit débuter que si aucun cétacé n’a été vu autour du bateau dans les 30 minutes précédentes. Ensuite, si des cétacés sont détectés à moins de 1000 yards (environ 900m), la puissance du sonar doit être diminuée de 6 décibels, ou bien de 10 dB si les cétacés sont à moins de 500 yards. Le sonar doit être éteint s’il y a des cétacés à moins de 200 yards.

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Par mer calme, un ziphius en surface peut être détecté à plus d’un km

Il y a cependant deux problèmes sérieux qui rendent cette notion de distance « de sécurité » inefficace pour la protection des cétacés lors d’émissions sonar: d’une part, ce n’est pas la distance qui importe, mais le niveau sonore reçu par le cétacé (qui dépend d’un faisceau de paramètres), et d’autre part, ces distances « de sécurité » ne sont pas forcément contrôlables par les observateurs: cela dépend de l’état de la mer, de la luminosité, et aussi du comportement des cétacés.

La mer est souvent agitée
La mer est souvent agitée; dans ce cas on ne voit pas bien les cétacés

En second lieu, une fois établies les véritables distances « de sécurité », une mitigation efficace repose sur la capacité de l’équipage du navire émetteur à détecter efficacement les cétacés dans le volume d’eau concerné par ces niveaux sonores élevés. Les cétacés présents dans le secteur critique peuvent très bien être détectables par ciel clair et vent de force 1, et indétectables par temps couvert et vent de force 5.

Il faut également mentionner la prévention des risques lorsque le sonar émet en conditions nocturnes ! Si elles n’utilisent pas de dispositifs spécialisés de détection acoustique des cétacés, les marines ne peuvent émettre avec un sonar de forte puissance durant la nuit tout en assurant la préservation des cétacés.

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De nuit ou par mauvaise visibilité, les protocoles de mitigation sont inefficaces

Alors, est-il possible d’utiliser des sonars de forte puissance, tout en préservant la faune des cétacés, mammifères qui sont légalement protégés en Méditerranée, rappelons-le ? La réponse à cette question se trouve dans les protocoles de mitigation les plus efficaces qui sont en vigueur, par exemple dans la dernière version de celui du NURC (NATO Undersea Research Center, actuellement le T&S-CMRE). Cet organisme, ayant été directement confronté par le passé à un accident de sonar grave, a mis progressivement au point une méthodologie sophistiquée pour diminuer les risques. Le NURC a d’ailleurs contribué aux progrès de la recherche sur la problématique sonar-cétacés.

Pour ce qui est des véritables bateaux militaires, certaines marines, telles la Royal Navy, la marine néerlandaise ou norvégienne, se sont orientées vers l’emploi de logiciels embarqués dédiés à la mitigation lors des émissions sonars. Pour la première, on trouve la mention d’un système « ERMC(S) » (Environmental Risk Management Capability – Sonar; Elkington, 2011) ou sonar 2117, qui est en service sur les navires depuis 2006; pour la seconde, les équipages des navires à sonar utilisent depuis 2010, un système baptisé « Sakamata » (Te Raa et al., 2011). Ces logiciels permettent une évaluation des risques sur la base des caractéristiques des sonars employés et de la faune de cétacés potentiellement présente dans un secteur donné; ils fournissent aussi une aide à la décision pour diminuer les risques.

Un sonar remorqué type Thalès 2087, sur une frégate de la Royal Navy
Un sonar remorqué type Thalès 2087, sur une frégate de la Royal Navy

Pour la Marine Nationale, le seul document disponible n’est pas véritablement officiel, et n’a « aucun caractère normatif ou de référence ». Sur une simple page, on indique que les procédures « suivent trois grands axes » : (1) la planification des exercices de lutte anti sous-marine qui doivent éviter les zones d’habitat connu des mammifères marins, (2) la restriction des émissions sonar à proximité immédiate des mammifères marins, (3) lorsque la situation tactique le permet, le démarrage des émissions sonar en puissance réduite afin d’alerter les animaux et leur permettre de s’éloigner. Suivent quelques autres indications qui ne donnent pas de vue d’ensemble du protocole de mitigation en vigueur.

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La question est posée: veut-on vraiment protéger le ziphius dans le sanctuaire Pelagos ?

Pour une Marine qui est amenée à utiliser régulièrement ses sonars dans le sanctuaire PELAGOS, on aimerait bien en savoir plus sur les méthodes de mitigation effectivement en vigueur. Au sein du sanctuaire, il y a deux zones où l’on rencontre spécifiquement le Ziphius, espèce très vulnérable aux fortes intensités sonores.

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Dolman S.J., C.R. Weir, M. Jasny, 2009. Comparative review of marine mammal guidance implemented during naval exercises. Marine Pollution Bulletin 58: 465–477.
Elkington R., 2011. Environmental Risk Management Capability (Sonar) – ERMC(S). ESOMM-2011 4th Conference on the Effects of Sound in the Ocean on Marine Mammals: 66.
Te Raa L. A., Von Benda-Beckmann A.M., Van der Zwan T.,Benders F. P.A., Van Riet M. W.G., Kamstra M., Ainslie M.A., 2011. SAKAMATA: a tool for risk assessment and mitigation. ESOMM-2011 4th Conference on the Effects of Sound in the Ocean on Marine Mammals: 73.