Le cétacé comme acteur économique non rétribué
Parvenue au paroxysme de son développement, la civilisation marchande a inventé la notion de valorisation des services écosystémiques. Dans cette notion réside le nec plus ultra de l’écologie anthropocentrée: une pierre, une plante, un animal est valorisé en fonction du bénéfice économique que peut en tirer l’homme marchand.
Exit la valeur intrinsèque, de même que la beauté, ou même la valeur écologique propre de ‘l’objet’. Sans parler même de son intérêt scientifique. Bienvenue au flux de devises permis par l’existence de cette pierre, cette plante ou cet animal.
C’est à l’aune de cette notion qu’il faut considérer les tout petits efforts de l’Etat français pour réguler l’exploitation commerciale des cétacés: de nos jours, il s’agit des delphinariums, du whale-watching, du nage-avec, de l’éco-tourisme,… ainsi que de leurs produits dérivés.
Pour ce qui est des cétacés sauvages, ces efforts se résument à une ‘Charte de bonne conduite’ applicable aux sanctuaires de mammifères marins, et à un arrêté de protection, dont la plupart des clauses sont inappliquées… voire inapplicables faute de définition claire pour les termes ‘perturbation’, ‘harcèlement’, ‘poursuite’, sans parler évidemment de l’inévitable ‘état de conservation favorable’ !
Notons bien que lorsqu’une atteinte aux mammifères marins pourrait constituer un délit, comme par exemple une ‘capture’ non intentionnelle mais se produisant systématiquement en grand nombre (comme les captures par pêche), l’Etat prend bien soin de rajouter un alinéa spécifique pour mettre les responsables à l’abri des éventuels dérapages incontrôlés d’un juge un peu sourcilleux.
C’est dans ce contexte d’exploitation des « ressources » marines que s’est épanouie la pratique du ‘nage-avec’ dans des communautés et départements outremer, et en Méditerranée bien sûr.
Remarquons que l’Etat, fort occupé par certains cas d’impact au milieu naturel, n’a jamais jugé utile de demander aux opérateurs commerciaux de démontrer l’innocuité de leurs pratiques vis-à-vis des groupes de cétacés exploités commercialement.
Mais notre Etat français s’est jusqu’à présent borné au rôle de spectateur, quand bien même les cétacés sont doublement ou triplement protégés, sur le papier. ‘Je m’en lave les mains’, la formule ne date pas d’hier, mais elle résume bien l’état, aujourd’hui, du dossier ‘nage-avec’ et ‘whale-watching’ en France métropolitaine.
Devant les préoccupations unanimes des scientifiques compétents et impartiaux, existerait-il une volonté de légiférer sur la question du dérangement des cétacés par les opérateurs touristiques ? Le passage à l’acte serait-il repoussé aux calendes grecques ?
Combien rapporte un dauphin qu’on laisse tranquille? Rien – pire, il peut se nourrir des mêmes proies que le pêcheur! Combien rapporte le même dauphin poursuivi et importuné ? Peut-être des centaines d’euros en saison. Pour l’homme marchand le calcul est vite fait, mais il est à court terme.
Les aspects sonnants et trébuchants des services écosystémiques sont-ils également trop séduisants pour des gouvernements qui ne jurent que par la croissance économique ?
Alexandre, Odile, et cetaces.org