Avec des impacts inconnus sur le milieu marin
D’un point de vue réglementaire, les atteintes aux écosystèmes marins sont réglementées par la Directive Cadre de l’Union Européenne et la décision de 2017 qui a trait au respect du bon état écologique (BEE) du milieu marin. Le BEE des eaux marines en France est réglementé par un arrêté de 2019, qui décrit et énumère les critères et seuils à respecter pour assurer la bonne conservation du milieu marin au sens de la DCSMM. Le respect du bon état écologique du milieu marin va subir l’épreuve des faits.
La construction puis la présence en mer de structures permanentes, nombreuses (typiquement de 50 à 100 générateurs) et de grandes dimensions, à la fois immergées et émergées, provoque de multiples changements physiques dans le milieu marin, et aussi aérien. Les courants changent un peu en fonction des marées, et avec eux la sédimentation. La nature du fond évolue autour des fondations, avec la présence de béton et de roches empêchant l’affouillement (érosion du sol autour des piliers), ainsi que les résidus de forage. Pris pilier par pilier, ces changements sont de peu d’importance, à peine notables à cent mètres de la structure.
Au niveau biologique, la présence même des structures entraîne la colonisation par des invertébrés, tels que la moule bleue, et de biotopes locaux avec des poissons spécifiques dont l’arrivée est stimulée par la présence de ces ‘substrats’ durs au milieu de fonds très souvent meubles et dénués de reliefs: c’est ‘l’effet récif’. En raison de l’échelle du développement éolien planifié, et de sa localisation sur les plateaux de la Manche, du golfe de Gascogne et du golfe du Lion, la portée écosystémique de ces changements peut difficilement être prévue, sans doute quelques effets sont-ils encore insoupçonnés. Qu’engendreront ces effets récifs, qui voient la prolifération des moules et l’augmentation de l’abondance de certains poissons, une fois que le nombre de structures sera multiplié par 1000 ?
La prédiction des changements et de leur portée écosystémique ne peut être envisagée que grâce à un effort de monitoring intégrant toutes les disciplines écologiques sur un bassin entier, et non au cas par cas et espèce par espèce (Lindeboom et al. 2015), et elle nécessite l’apport de données exhaustives. Les retours d’expériences, après que les installations ont été construites, commencent à apparaître : en mer du Nord, la révolution de l’éolien offshore a entraîné une baisse notable de la production primaire pélagique en raison de l’explosion de la biomasse de moules (Slavik et al. 2019). Cette baisse de productivité du milieu pélagique a évidemment des répercussions sur la faune associée, du zooplancton aux poissons.
Des effets en cascade sur le réseau trophique sont donc attendus : les effets bénéfiques sur certaines espèces entraîneront des changements d’équilibre écologique au détriment d’autres espèces, et des modifications dans la communauté des prédateurs. Seul des contrôles in situ pendant plusieurs années sur des installations déjà opérationnelles permettront d’éviter un saut dans l’inconnu en constatant des effets que les modélisations d’aujourd’hui n’auraient pas prévus. Ceci requiert un développement progressif, par paliers, de l’électricité éolienne marine, le contraire de la nouvelle approche gouvernementale.
Habituellement, les effets provoqués par l’éolien offshore sont examinés par le filtre des trois principales étapes de la vie d’un ‘projet’ : la construction, l’exploitation et le démantèlement. Pour ce dernier, l’horizon lointain est très nébuleux. Pour ce qui est de la phase ‘construction’, un gros morceau, nous l’évoquerons dans la troisième partie, sous l’angle principal des impacts sur les mammifères marins. Dans l’immédiat, la phase exploitation, d’une durée de 30 années au moins, est celle qui impactera le plus le milieu marin, avec, au premier rang des victimes collatérales, les oiseaux marins, et aussi leurs cousins migrateurs.
Pauvres oiseaux : ils sont les dindons de la farce
La présence de nombreuses et immenses structures, leur visibilité, leur éclairage, le mouvement des pales provoquent des changements dans l’avifaune : effets d’attraction et mortalité par collision. Ces problèmes ont été constatés dès le début du boom sur l’éolien terrestre, entraînant des mesures correctives comme en Allemagne ou en Espagne. Mais les effets ont sous-évalués car, même à terre on a du mal à chiffrer précisément les dégâts dans l’avifaune : les comptages sous-estiment beaucoup la mortalité car nombre de carcasses de victimes disparaissent rapidement, emmenées par les charognards (Farfan et al. 2017). Alors on imagine les problèmes pour ce qui est des comptages en mer … !
La mortalité des oiseaux migrateurs a pourtant été évaluée sur une plate-forme offshore pétrolière (donc sans hélice): 767 oiseaux morts de 34 espèces avaient été comptés en 160 jours d’observation (Hüppop et al. 2016). Etendue à des milliers de ces structures, la mortalité annuelle se compte en centaines de milliers, rien que pour les migrateurs. La mortalité par collision des oiseaux marins, en général plus gros que les migrateurs, semble plus facile à mesurer (Fox et Petersen 2019) ; cependant, les comptages (radar, infra-rouge) posent des problèmes techniques sérieux. Par ailleurs, les modélisations réalisées en préalable aux programmes éoliens ont montré leur imprécision (Ferrer et al. 2012), à cause de variables d’entrée, telles que hauteur et vitesse de vol, trop simplifiées.
Les effets sur la faune volante (comprenant les chiroptères) font partie du parcours obligé d’une étude d’impact préalable, cependant les résultats de ce genre d’étude sont à considérer avec précaution, ne serait-ce qu’à l’échelle d’un seul parc éolien. Des études sont toujours en cours pour évaluer l’incidence réelle des collisions par éolienne sur certaines espèces très vulnérables, comme la mouette tridactyle (Black et al. 2019). Quant à prévoir les effets sur les populations d’oiseaux de 5 ou 10 projets d’éolien offshore dans une même région … c’est un exercice hors d’atteinte, et qui n’a pas été réalisé en France. La science avance plus lentement que la construction de nouvelles centrales.
Devant tant d’imprécisions dans les prévisions ou la mesure des effets, certains scientifiques s’astreignent à faire de la comptabilité, c’est-à-dire à tenter d’établir année après année la trajectoire de population des nombreuses espèces. Des prospections sont effectuées tant en mer que sur les lieux de reproduction, et d’autres débats ont lieu, sur la précision de ces méthodes de contrôle. D’ailleurs, si la question porte vraiment sur la mesure de la mortalité accidentelle, quel doit-être le taux de mortalité admissible pour que l’humain puisse produire son électricité en mer ‘en toute tranquillité’ : tolèrera-t-on 1%, 10% ou … 50% de mortalité anthropique supplémentaire ?
Les critères énoncés par l’arrêté sur le bon état écologique des eaux marines n’abordent pas ce niveau de ‘détail’, non plus que la ‘Directive Oiseaux’, qui distingue par contre les espèces qui sont dignes d’une forte protection … des (nombreuses) autres. Ajoutons que l’approche comptable de la gestion? protection de la Nature n’empêche pas de penser (au moins un peu) à la souffrance de tous ces animaux qui, blessés, finiront leurs jours dans une longue agonie à la surface de la mer …
Oiseaux marins, oiseaux migrateurs, leurs populations subiront les conséquences de cette anthropisation inédite du milieu marin, c’est certain : d’importantes dégradations suivront l’essor de l’éolien offshore sans que le ‘gestionnaire’ de la Nature, l’Etat, s’en émeuve autrement qu’en exprimant verbalement sa préoccupation … et son implication totale dans la préservation de l’environnement.
Autres conséquences mal connues ou pas prises en compte
Si les effets néfastes les plus évidents des éoliennes offshore concernent les oiseaux, leur fonctionnement engendre aussi des conséquences moins visibles, sous la surface : l’intensification du bruit sous-marin est un des phénomènes les plus souvent abordés. Hormis des espèces emblématiques comme les mammifères marins, les niveaux sonores produits pendant l’exploitation des éoliennes marines sont réputés avoir des effets faibles sur la faune marine en général. Pourtant, pour bien des animaux, comme les poissons, la connaissance des effets des bruits des éoliennes en exploitation est encore parcellaire, alors que l’on sait que leur audition est sensible à basse fréquence. De même, les tortues ont une audition plus sensible en basse fréquence que beaucoup de cétacés.
Les champs électromagnétiques sont une conséquence encore plus subtile de la production d’énergie électrique en mer : la multiplication des lignes électriques sur le fond entraîne des hausses du champ magnétique local. Ces perturbations peuvent affecter les déplacements de certains poissons, notamment les cartilagineux qui sont réputés sensibles à ces phénomènes, même s’ils agissent uniquement à très faible distance. Certes l’ensouillage des câbles à haute tension, nécessaire pour les préserver des agressions du milieu, minimise les conséquences des champs magnétiques. Mais l’extension spatiale des câblages liée à l’ampleur du programme de l’éolien offshore, la permanence des effets barrières pour certaines espèces et les conséquences écosystémiques possibles devraient motiver des recherches dédiées sur ce sujet, souvent ignoré ou considéré comme négligeable dans les études d’impact.
La destruction des paysages, notion anthropocentrée, est une préoccupation si forte qu’elle motive fortement l’éloignement des éoliennes, le plus ‘au large’ possible pour les habitants du littoral, qui sont souvent des terriens. Les paysages marins ne sont pas considérés comme des biens patrimoniaux à protéger en tant que tels, mais comme un environnement pour les riverains, qui les apprécient et les valorisent fortement : ‘avec vue sur la mer’ est une expression consacrée pour signifier le privilège de certains propriétaires. Ces paysages marins sont aussi une partie intégrante de la vie des marins, qu’ils soient pêcheurs ou navigateurs hauturiers et nombre d’entre eux … vont disparaître. Cet aspect de l’anthropisation du milieu marin n’a certainement jamais été pris en compte dans les études d’impact.
Alexandre et cetaces.org