La question de l’assistance à cétacé en difficulté de plus en plus d’actualité
(voir les mises à jour importantes en fin d’article)
Un orque s’est profondément engagé dans la Seine depuis plus d’une semaine et a des difficultés pour trouver la sortie… ce fleuve étant bien connu pour ses méandres. La société civile et médiatique pose à nouveau la question de l’assistance à un cétacé en difficulté, à juste titre. Il y a en fait deux questions qui sous-tendent l’action ou l’inaction dans ce cas de figure : Doit-on ? et Peut-on ?
Doit-on porter assistance à un cétacé en difficulté ? Il y a les partisans de la non-invasivité selon la philosophie partagée par une partie des naturalistes : ‘la faune sauvage évolue au sein du milieu naturel, laissons la Nature faire son œuvre’.
Notons que, si ce raisonnement a du sens d’un point de vue évolutif, il peut malheureusement être détourné : le ‘laisser-faire’ est assez pratique pour l’État, géant froid qui a l’habitude de laisser mourir chaque année des milliers de cétacés dans les engins de pêche… (…mais qui dans un tel cas peut difficilement affirmer ouvertement son indifférence face à la pression médiatique et publique).
La doctrine de non-intervention, pour être totalement logique, nécessiterait donc d’être sûrs que l’humain n’a pas initialement impacté le milieu naturel ou la faune, c’est-à-dire qu’il n’a pas contribué à provoquer le problème qu’il veut laisser la Nature résoudre. Pas facile !
A la question du ‘doit-on’, le Groupe de Recherche sur les Cétacés a depuis longtemps trouvé sa réponse : s’il y a difficulté grave et qu’une action humaine peut améliorer sensiblement les chances de survie d’un animal non condamné, nous souhaitons porter assistance.
Si la responsabilité humaine est en plus clairement établie dans la difficulté du cétacé, alors la réponse coule de source.
La question des chances de survie est parfois délicate à évaluer : « sauver » un animal condamné en le poussant vers le large revient souvent simplement à l’emmener mourir ailleurs… on ne s’en rend parfois compte qu’après-coup… fallait-il alors ne rien tenter ? Pas facile non plus !
A plusieurs reprises, sur cinq espèces de cétacés, nous avons tâché d’assister un animal en grande difficulté, souvent avec succès. Et ce, dès 1991, avec un Globicéphale capturé dans un filet !
Dans un cas, notre volonté a été infructueuse, le Delphinus très affaibli nécessitant des soins poussés que nous étions incapables de lui prodiguer au large.
Ensuite se pose la question du ‘peut-on’ : a-t-on les moyens et le savoir-faire ? Deux remarques : d’une part, celui qui a les moyens (l’État, encore lui) n’a parfois pas le savoir-faire, et d’autre part, ceux qui ont du savoir-faire (comme le GREC et quelques autres acteurs associatifs) ont peu de moyens. La question de l’accès à la mer (ou au fleuve en l’occurrence) est centrale, évidemment, mais avoir un bateau est loin d’être suffisant : il faut des cétologues expérimentés qui après une phase d’observation patiente vont pouvoir intervenir avec doigté en auscultant les moindres signes comportementaux du cétacé en difficulté. Et là, il n’y a pas grand monde qui se presse au portillon… peut-être par peur du ridicule en cas d’échec après la mise en œuvre de moyens importants ?
Les moyens mis en œuvre, pourtant, n’ont pas nécessairement à être importants : certaines grandes opérations de sauvetage ont par le passé mobilisé des dizaines (centaines ?) de milliers de dollars, mais une aide plus modeste, par exemple avec une ou deux petites embarcations guidant vers la sortie un animal désorienté, est très peu stressante lorsque menée correctement et ne demande pas grand chose d’autre que de la volonté et un peu d’essence.
Dans certains pays souvent confrontés à des situations très problématiques (USA, Australie, Nouvelle-Zélande), des équipes se sont constituées pour porter ‘assistance à cétacé en danger’, avec des financements en rapport avec les actions à entreprendre, en plus d’une bonne volonté bien organisée (et bénéficiant de formations régulières). La question du ‘doit-on’ ayant été tranchée, les problèmes du ‘comment peut-on’ y sont résolus au cas par cas, avec des résultats variables et, … oui, certainement, … quelques petites prises de risque.
Il nous reste à souhaiter bonne chance à cet orque égaré dans la Seine, avec quand même une dernière question, importante, une de plus : quels événements ont conduit l’orque en si mauvaise posture ? Un orque en pleine santé avait été vu début avril par un pêcheur au large du Calvados… s’agissait-il du même individu que celui qui est en difficulté dans la Seine ? Y-a-t-il eu, à moment donné, l’intervention de facteurs humains, comme par exemple des travaux bruyants qui auraient engendré des comportements inhabituels chez les cétacés, chez ces orques de passage ? On se souvient en effet qu’en décembre 2019, la présence d’un groupe d’orques dans le port de Gênes avait coïncidé avec des exercices navals importants. Mystère.
Mise à jour 1 (28 mai) : un communiqué de presse de la préfecture de Seine Maritime indique qu’une opération d’assistance basée sur des stimuli acoustiques est en cours. Bonne chance aux opérateurs, nous croisons les doigts pour que ça réussisse !
Mise à jour 2 (30 mai) : nous avons malheureusement appris l’échec de l’opération acoustique avant-hier. Alors que les autorités ont décidé hier d’euthanasier l’orque, arguant d’un état de santé rapidement dégradé, l’équipe de Sea Shepherd France a retrouvé ce matin le cadavre de l’animal flottant en aval sur la Seine. On espère qu’une autopsie poussée et indépendante sera pratiquée avant que le temps n’efface des indices possibles de la cause de la mort, afin qu’au moins cette triste histoire puisse être « instructive » pour le plus grand monde.
Mise à jour 3 (31 mai) : Coïncidence, corrélation ou causalité ? Un communiqué de presse de la Préfecture maritime indique qu’un contreminage de forte puissance a eu lieu le 12 mai devant St-Valéry-en-Caux. Il est connu que ces explosions occasionnent des ondes de pression extrêmement élevées (ainsi 10 marsouins ont été tués en août 2019 en Allemagne lors d’une opération comparable) ; la forte explosion a eu lieu quelques jours avant que l’Orque affaiblie ne commence à remonter la Seine de manière inexpliquée. Le GREC espère que le rapport de l’autopsie poussée sera diffusé en totale transparence, des indices d’atteintes au système auditif pouvant notamment être découverts lors de l’expertise.
Mise à jour 4 (3 juin) : Les premières observations sur le cadavre ont révélé que l’animal était une femelle… et que ça ne pouvait donc pas être le même individu que le mâle qui avait été observé près du Calvados en avril. Voilà déjà une incertitude levée… en attendant mieux !
Alexandre et cetaces.org