Dauphins des anglo-normandes
Prologue: la grande bleue
Début août, je suis fin prêt à étrenner avec le GREC mon certificat de Marine Mammal Observer (M.M.O) obtenu de haute lutte l’année dernière aux Açores. La prospection avec le GREC est prévue pour durer 8 jours, finalement à cause du mistral, seuls 2 jours seront navigables. Comble de malchance cette année et pour la première fois depuis plusieurs années (dixit Alexandre) la production primaire de phytoplancton s’est produite très au large de Marseille, entraînant une relative désertion de la mer Ligure par les rorquals.
Bref, en 20 heures d’observation, 6 petites rencontres avec des dauphins bleus et blancs, une tortue, des thons et l’écoute de deux cycles complets de sonde de cachalot, sans toutefois pouvoir l’observer… une réussite totale.
Dépité, je partis rejoindre ma petite famille en Normandie, afin de visiter les îles anglo-normandes en voilier, avec l’espoir d’observer phoques et marsouins absents de nos contrées méridionales.
Contrastant avec la belle mer bleue d’Antibes et ses centaines de yachts surmotorisés, nous voici huit au départ de Cherbourg. Changement d’ambiance :
– la mer n’est plus à 26° mais à 14,
– des marées entre 2 et 8 mètres de marnage,
– des courants pouvant aller jusqu’à 10 noeuds et s’inversant toutes les six heures,
– des profondeurs moyennes de 40 mètres avec des fosses abyssales plongeant jusqu’à 100 mètres,
– des goélands remplacés par des fous de Bassan.
Pour cette croisière en Manche, notre première étape sera Cherbourg-Aurigny:
- nous faisons avancer le voilier en prenant garde de bien négocier le passage du Raz Blanchard et ses dangers,
- Observations cétologiques 0 (je me rends compte qu’à part moi, cela chagrine peu de monde).
Deuxième étape: Aurigny-Guernesey
- pas de vent, on invoque le dieu Yamaha avec succès, afin que le bateau avance. Pendant que les familles s’adonnent à leurs plaisirs favoris, je laisse la barre à mon coéquipier et je passe tout seul en stade de prospection renforcée, me réservant les secteurs avant, tribord et bâbord,
- coup de bol, au bout de 10 minutes, une maman dauphin collée à son petit se jette sur notre étrave afin de l’initier à la joie du surf. Je peux enfin étaler ma science cétologique, en identifiant grâce à leur tache claire sur l’aileron des dauphins communs (Dephinus delphis).
- bien sûr, mon appareil photo gréé en 120/400 mm est inutilisable pour réussir de bonnes photos à bout portant. D’autres dauphins se joignent aux premiers, sans doute intrigués par les humains gesticulant à l’avant d’un voilier et tentant d’imiter avec plus ou moins de succès les sifflements de ‘Flipper le gentil dauphin’,
- le moteur s’arrête soudain, le barreur veut lui aussi profiter du spectacle ; je lui explique rapidement que notre sillage et notre lame d’étrave sont sans doute les seuls points d’intérêt des cétacés. D’ailleurs ceux-ci s’éloignent déjà. Bon, tant pis.
Relâche: deux jours de pause à Guernesey, île de 64 km2, des routes étroites et 65000 habitants possédant chacun leur voiture. Un régal, lorsque vous décidez de la traverser en vélo avec des enfants de 6 et 9 ans.
Troisième étape: Guernesey-Sark
- pas de vent, les ados ont piqué les tablettes aux petits, les petits râlent, les femmes papotent encore, les hommes se rencardent sur les possibilités de mouillage dans cette île dépourvue de port et soumis à de forts courants,
- observations cétologiques 0, par contre puffins, fous de Bassan, guillemots et pingouins torda se croisent en tous sens,
- nous mouillons dans l’anse de la grève de la ville au Nord-Est de l’île de Sark, sur des bouées marquées ni sur les cartes, ni sur les guides côtiers.
Au matin, tandis que je m’active à faire la vaisselle à l’arrière du bateau, soudain, un, deux, trois ailerons apparaissent cap au Sud, puis encore d’autres apparemment une trentaine d’individus, grands et petits défilent à 100 mètres du bateau immobile.
- nouvel étalage de science cétologique, des Grands Dauphins (Tursiops truncatus) reconnaissable à leur aileron et leur taille,
- à bord, un concours d’imitation de cris de dauphins quand quatre individus se dirigent droit vers le bateau, 60, 50, 40 mètres … j’essaye de faire respecter le calme et le silence sur le voilier, mais trop tard, un hurluberlu tape sur la coque, entraînant la disparition immédiate du groupe. Ah, on n’est pas aidé !
- la prochaine fois briefing pour tout le monde, sur le monde des cétacés et la conduite à tenir en leur présence.
La suite de la journée est consacrée à la visite de Sark, une île sans voiture, sans port, sans asphalte et sans aéroport dirigée par un lord anglais tracassé par deux frères jumeaux désirant y créer une réserve pour milliardaire.
- des dauphins jouant dans le courant sont même observés pendant 30 minutes du haut des falaises à l’Ouest de l’île,
- retour au bateau, vers 20h00 le soir et là rebelote, défilé de Tursiops vite transformé en partie de course-poursuite par l’arrivée de deux bateaux ignorant tout du code de bonne conduite en présence de cétacés,
- j’ai moi-même du mal à arrêter les jeunes qui souhaitent, eux aussi, participer à la corrida avec notre annexe,
- difficile d’enseigner aux gens que la collision n’est peut être pas la meilleure façon d’aborder le monde des cétacés.
Les grands dauphins de la région sont suivis depuis des années par le groupe d’étude des cétacés du Cotentin (G.E.C.C.). Un groupe d’environ 350 individus gravitant tout autour de la péninsule. Ils ont affaire, bien qu’à moindre échelle, aux nuisances de leurs homologues méditerranéens (bruits parasites, harcèlement, etc.…).
Les boues rouges sont là-bas remplacées par la création de vastes parcs aéroliens et hydroliens.
Le retour vers Cherbourg n’apportera aucune autre observation cétologique. Marsouins et phoques sont restés fidèles à leur réputation de discrétion et nécessiteront de ma part un nouveau voyage avec ma bande de sympathiques mais peu efficaces cétologues amateurs. Avec un mini-Niveau 1 avant le départ, peut-être ?
Copyright: Gilles Boyer et cetaces.org