La radiation des espèces de cétacés par la restructuration des océans

Le nombre élevé de fossiles de baleines et de dauphins enregistrés le prouve : de tous les mammifères, les cétacés sont ceux qui représentent le plus formidable exemple de macroévolution. Leur transition radicale entre la terre et la mer est maintenant bien connue (il y a environ 50 millions d’années avec le plus ancien archéocète connu). Il n’en est toutefois pas de même sur leurs « récentes » divergences et leur diversification taxonomique. Une étude a donc été menée en faisant une datation précise de plusieurs cétacés fossiles, et en étudiant la génétique moléculaire de 87 espèces existantes. La diversification génétique obéit en effet à des lois dont certaines ont des propriétés d’horloge.

L’étude aboutit à une constatation sur la radiation actuelle des espèces : le « râteau évolutif » a connu peu de modifications au cours de l’histoire hormis dans les périodes de restructurations physiques prononcées des océans (fermetures ou ouvertures liées à la tectonique des plaques). On a donc tenté d’élucider ce lien de cause à effet en travaillant sur deux périodes distinctes de forte expansion : de -35 à -31 millions d’années et de -13 à -4 millions d’années.

Deux hypothèses alternatives sont explorées pour expliquer ces phases de diversification :

  • La première : l’espace et les ressources sont abondantes, les niches écologiques ne sont pas saturées, il y a peu de compétition ce qui entraîne une expansion et une diversification progressive dès la première période de l’apparition des deux sous-ordres de cétacés modernes (mysticètes et odontocètes).
  • La seconde : la tectonique des plaques entraîne des changements de climats et d’habitats marins à l’échelle planétaire, et la redistribution des ressources provoque une diversification forcée des espèces existantes avant les changements.

Les deux périodes étudiées conduisent à privilégier l’hypothèse n°2. En effet, la période -35 à -31 MA correspond à l’ouverture du passage de Drake (entre Antarctique et Amérique), alors que la période -13 à -4 MA correspond à la fermeture (ou réduction) de plusieurs zones de passages (par exemple entre Amérique du Nord et du Sud, Méditerranée ou encore zone Indo Pacifique).

On apprend aussi que l’écholocalisation des odontocètes a des origines qui remontent à des espèces présentes il y a 35 MA à peu près, donc a une des périodes de grands accidents géologiques.

D’autre part, les auteurs montrent que dès -30 MA les odontocètes se diversifient en quatre branches principales, toujours existantes: les cachalots, les baleines à bec, les platanistidés (dauphins de fleuve) et les delphinidés.

La seconde période de diversification, aux environs de -10 MA, est marquée en premier lieu par une forte diversification des delphinidés modernes, qui coïncide d’ailleurs avec la disparition d’espèces de dauphins plus archaïques. Il y a aussi une diversification des ziphiidés et de rorquals.

Ce genre de recherche sur le passé lointain est passionnant en lui-même, et permet aussi de s’interroger sur ce qui se passera dans le futur : ce sont les grands événements géologiques qui semblent provoquer les bouleversements de peuplements. Si nous prenons garde à les préserver, les cétacés nous réservent donc encore certainement de belles perspectives d’évolution dans les prochains millions d’années !

Référence : « Radiation of Extant Cetaceans Driven by Restructuring of the Oceans » – Mette E. Steeman, Martin B. Hebsgaard, R. Ewan Fordyce, Simon Y. W. Ho, Daniel L. Rabosky, Rasmus Nielsen, Carsten Rahbek, Henrik Glenner, Martin V. Sørensen, And Eske Willerslev – Systematic Biology 58(6): 573-585 (2009). (Steeman09 Evolution des cetaces)

Copyright: Didier Fusaro et cetaces.org.