voir ‘1997 : les maîtres-chanteurs’
Voguons 1000 milles vers là où le soleil se lève
C’est avec des projets de prospections musclés que nous abordons l’année 1998. En Polynésie comme en Méditerranée, nous allons nous déporter d’un millier de milles pour découvrir de nouveaux peuplements de cétacés.
1998, saison très chaude en Polynésie
Mais d’abord, dans l’archipel de la Société, nous devons composer avec un phénomène El Nino puissant: pluies et chaleurs. Pour cette raison, notre prospection de saison chaude reste cantonnée au Iles-du-Vent.
Les cétacés autour de Tahiti et de Moorea nous réservent de belle surprises. On commence à mieux connaître le facétieux dauphin à bec étroit (Steno bredanensis). Avec notre voilier Ou’a nous collaborons à une thèse sur cette espèce, l’étudiante, Kristi West venant de Hawaii.
Nos 31 journées de prospection dans cette région (10 en saison chaude, 21 en saison froide) nous amènent à rencontrer le globicéphale tropical, que nous avons du mal à cerner dans son comportement. Moins prévisible que l’espèce melas.
Notre bilan en nombre et diversité d’observations reflète la plus faible extension de nos recherches, avec un total de 656 milles parcourus.
Cependant, nous approfondissons nos connaissances sur le mésoplodon de Blainville, assez commun dans la région. Au bout de quelques observations, nous commençons à intuiter le cycle de comportement de cette animal mystérieux.
Nous remarquons que cet animal peut se montrer curieux à certains moments. Il faut anticiper et placer le voilier immobile à proximité de sa route, et ne pas faire de bruit.
C’est autour de Moorea que nous faisons les plus belles observations de mésoplodons cette année. Par contre, notre hydrophone reste sourd et muet.
Durant la saison froide, nous poursuivons ces recherches locales en cherchant à faire de bons enregistrements de mégaptères. Plus rares cette année nous semble-t-il. A compter d’octobre, nous commençons à préparer notre grand périple.
Un été méditerranéen plutôt chaud aussi
En Méditerranée, notre plan est aussi d’augmenter l’emprise géographique, animés d’une curiosité pour d’autres régions et du besoin de collecter des bonnes données sur le cachalot.
Violaine, membre du GREC, s’est en effet lancée dans une thèse sur cette espèce, soutenue par un financement de Marineland et par les moyens de l’association.
Notre objectif étant d’aller prospecter vers les îles grecques de la mer Ionienne, nous commençons par descendre la mer Tyrrhénienne. Nous détectons un petit groupe de cachalots femelles avec un nourrisson.
Nous décidons de contourner la Sicile par le Sud, histoire de voir un peu ce qu’il y a de ce côté. Deux belles observations de Delphinus récompensent notre curiosité.
Partis le 17 juin d’Antibes, nous rencontrons des conditions assez calmes pour cet aller, y compris pour la traversée de la mer Ionienne. Quelques observations de Stenella émaillent notre traversée. Et beaucoup de tortues.
Notre arrivée joyeuse se fait à Argostolion, port principal de Céphalonie, une grande île. Après un peu de repos et quelques libations, nous entamons nos prospections locales.
Nous sommes assez vite gratifiés d’une belle observation de cachalots, encore un groupe avec femelles et jeunes. Cette fois, un jeune suivi de sa mère vient inspecter le voilier et passe en-dessous. La récolte de données de toutes sortes est bonne.
Au début de juillet, une rotation des observateurs permet de rafraîchir l’équipe. Elle a lieu à Ithaque … Nous restons dans le secteur des îles Ioniennes.
Nous observons aussi un petit groupe de Ziphius (trois), près duquel nous faisons silence. Le juvénile finit aussi par venir voir le bateau, nous retenons notre souffle.
Notre prospection locale permet également de voir des dauphins divers, mais pas en très grand nombre.
Nous sommes frappés par la tranquillité de ces eaux, le peu de bateaux de plaisance, et aussi par la gentillesse des habitants de ces îles.
Nous poussons un peu vers le sud, mais sans trop insister car nous devons rejoindre la France pour la fin-juillet, pour une autre manip.
La traversée retour débute à la mi-juillet, cette fois une bonne brise nous accompagne. Des observations de Stenella et de dauphins de Risso (en plein large) malgré la mer un peu agitée.
Cette fois, nous empruntons le détroit de Messine, avec ses courants brutaux. Pour une prospection Ulysse, il fallait bien passer entre Charybde et Scylla !
Cap au nord, avec une belle série d’observations de dauphins bleus et blancs, et arrivée à Antibes le 28 juillet. Pour trois jours de repos bien mérités.
Car une manip ambitieuse nous attend: profitant d’une abondance de volontaires cette année-là (18 au total !), nous avons décidé en effet de comparer en simultané les peuplements du golfe du Lion et de la zone Ligure.
Le voilier Anacharsis, skippé par Stéphane, se charge de la zone Ligure et Anacaona se dirige vers le Lion. Chacun a 5 observateurs à bord. La manip se déroule bien, mais les résultats ne sont pas très parlants.
Cette double prospection du mois d’août permet au GREC d’afficher 68 journées de mer et 4170 milles parcourus en cet été 1998. Avec à nouveau une diversité de 8 espèces observées, pour 187 observations.
En Polynésie, c’est à 900 milles vers le Nord-Est que l’on va
L’idée avait germé naturellement tant l’attractivité naturelle des Marquises était grande. Cependant, il nous fallait un voilier dimensionné pour remonter plus de 800 milles au près.
Grâce à Pierre-Feu, nous pouvons bénéficier du ketch Eleuthera, 12 m en acier, et de l’aimable concours de Jean-Claude Tricottet. Deux mois et demi pour un charter à prix très doux. L’équipe au départ de Tahiti, le 20 novembre, est 100% masculine. Cela nous change de la Méditerranée.
Le 1er décembre, nous mouillons en baie de Taiohae (Nuku Hiva). Les pleins faits, nous appareillons pour rejoindre rapidement les deux petites îles du nord, Eiao et Hatutu, désertes de population humaine, mais pas de dauphins …
Contrairement aux îles de la Société, le peuplement de dauphins est abondant, avec une grande diversité tous les jours: il n’est pas rare d’observer des groupes de longs-becs, tachetés, tursiops et péponocéphales au cours d’une même journée !
C’est d’ailleurs le cas sur le versant sous le vent de Eiao, où nous attend une faune étonnante, y compris pour ce qui est des poissons (raies, requins, …). Il faut dire que les eaux y sont vertes.
En fait, nous découvrons peu à peu que les eaux de presque toutes les Marquises hébergent plusieurs espèces de dauphins. Peu de bateaux en cette saison, une population très accueillante, une richesse faunistique inégalable …
Ce n’est pas toujours facile de reconnaître les espèces, d’autant qu’il arrive que les groupes soient mélangés. Par contre, nous sommes étonnés de ne pas entendre de cachalot … pas la saison ?
Il est remarquable que le dauphin tacheté, quasi-absent vers Tahiti, soit ici très répandu. De même que les dauphins d’Electre sont nombreux … mais sans dauphins de Fraser à côté. Des mystères à résoudre plus tard …
Nous regagnons Nuku-Hiva, avant de faire une rotation d’équipages et de poursuivre vers Ua Pou, où nous trouvons plusieurs mouillages abrités et plaisants. Les observations s’accumulent …
Certaines journées un temps de nord-est avec des grains nous impose un stop, mais la pause dure rarement 48 heures. Si bien qu’à la fin de décembre, nous avons à notre actif 37 jours de prospection.
Les mouillages doivent toujours être reconnus de jour, car les cartes papier et les pilotes peuvent être peu précis. D’une manière générale, les abords des îles sont assez francs, et les rares vrais dangers sont signalés. Souvent une bande de dauphins garde l’entrée de la baie.
Le dauphin d’Electre ou péponocéphale joue la vedette avec localement des groupes de 200 individus et plus. La journée, ils se reposent dans des eaux peu profondes. La nuit, ils chassent plus au large, on imagine.
Les vacances de Noël ont vu embarquer la petite famille Gannier, qui prend possession naturellement de son ‘bateau pirate’.
La fin d’année nous voit évoluer autour d’Hiva Oa, où naturellement nous allons voir la tombe de Jacques Brel. La mer un peu agitée ces jours-ci n’incite pas à pousser les prospections plus au sud.
31 décembre 1998, l’année se termine dans une baie de Tahuata où, c’est promis, nous respecterons la tradition d’un nouvel An chômé … avant de poursuivre nos explorations cétologiques. Avec 292 observations et 136 jours de navigation, le GREC n’a pas démérité.