Voir ‘1995 : la fin du commencement’
La question : Anacaona éclipsée par Ou’a ?
Puisque nous habitons à Tahiti depuis septembre 1995, la prospection méditerranéenne de 1996 sera uniquement estivale (comme les suivantes), ce qui simplifie la logistique.
Cet été se caractérise par une forte affluence – féminine – à bord: plusieurs stagiaires qui ont suivi les cours de cétologie méditerranéenne de l’EPHE ont choisi d’effectuer une première pratique en mer avec le GREC.
Une bonne partie de la prospection est consacrée à un transect linéaire en bonne et due forme dans les eaux liguro-provençales d’un éventuel futur sanctuaire. Il y a même une subvention pour réaliser cette étude.
Comme la météo est plutôt belle cette année, nous réalisons pas moins de 233 observations en 38 (longues) journées de mer, et 2300 milles nautiques. Nous voyons passer 9 équipiers à bord pour contribuer à ce travail.
Comme il faut toujours une ombre au tableau, la diversité pour 1996 est faible, avec seulement cinq espèces observées. Il y a 149 observations de Stenella et 67 de rorqual.
Notre ‘grande’ Anacaona et l’abondance d’observatrices permet d’accomplir cette belle prospection sans trop trop de fatigue. Nous remarquons une fois de plus l’abondance de cétacés sur la zone Est-Provence.
Cinq observations de globicéphale et pas moins de 10 observations de Grampus sont là pour pimenter nos menus quotidiens ainsi que deux observations de cachalot dont un avec le dos entaillé.
Disons quand même que lorsqu’arrive le 26 août, nous sommes contents de poser nos sacs à terre. Avec un beau gros travail de terrain qu’il nous reste à exploiter pendant l’automne …
En Polynésie, notre arrivée en septembre nous a conduits à mettre en pratique le premier principe de la cétologie, dès le mois de mars, en convertissant la prime d’arrivée d’Odile en un voilier d’occasion que nous avons baptisé ‘grand dauphin’ en langue ma’ohi.
L’île de Tahiti – magnifique – et sa petite soeur, Moorea (qui ne l’est pas moins), constituent un joli terrain d’investigations cétologiques que nous avons commencé à exploiter pendant la saison chaude.
La fin de saison froide (septembre à novembre) nous voit retourner vers les Iles-sous-le-Vent pour une première prospection baleinière, puisque c’est l’époque où les Mégaptères de l’océan Austral hivernent dans l’archipel.
Comme nous connaissons déjà les baleines à bosse, nous ne sommes pas particulièrement excités par la découverte de la sous-espèce locale. C’est plutôt la diversité du peuplement de dauphins qui nous étonne.
Pour cette première prospection longue, Michel Bazin répond à l’appel et vient renforcer notre petit équipage. Michel est d’autant plus précieux qu’il connaît la Polynésie depuis son tour du monde …
Commencée avec la petite famille, la prospection se poursuit à deux ou parfois à trois et apporte d’emblée des informations précieuses: jour après jour il se confirme que les cétacés sont rares au large et plus concentrés à proximité des îles.
Grâce à 40 observations obtenues en 31 journées et 1300 milles (pour tout 1996), nous apprenons que la diversité est beaucoup plus forte qu’en Méditerranée nord-occidentale, mais l’abondance beaucoup plus faible.
Nous n’observons en effet pas moins de 10 espèces dès cette première année. Mais les journées paraissent parfois longues. Heureusement, la découverte de nouvelles espèces est passionnante, et le défi commence par l’identification correcte des cétacés rencontrés.
Nous sommes en effet les premiers à sillonner ce bout d’océan dans un vrai bateau sans autre préoccupation que de documenter les cétacés de la région. Et oui, cela paraît curieux, mais c’est ainsi.
Notre voilier polynésien est bien différent de notre Anacaona méditerranéenne: lourd, à quille longue, il passe bien dans la vague mais dérape pas mal au près. L’océan est aussi très différent: même avec peu de vent il est un peu agité au large. Les pointes des îles sont souvent longues à passer face au vent.
Grâce à notre expérience méditerranéenne la mise en pratique des méthodes de prospection se fait assez rapidement. L’adaptation tient compte des journées de navigation assez courtes, en raison de la durée du jour tropical, et de la recherche d’un abri, rarement facile.
Tahiti elle-même, souvent négligée par les plaisanciers, offre de belles perspectives de navigation et d’observation de cétacés, avec toute une partie Sud peu fréquentée, mais très fréquentable sauf par maaramu (fort alizé de sud-est).
A la question qu’on ne nous a jamais posée « Comment faites-vous pour faire des recherches cétologiques en voilier simultanément dans deux régions du monde si éloignées ? », j’aurais répondu « C’est pareil que si on le fait en un seul endroit, sauf qu’on le fait deux fois. ». A partir de 1996 et pour un bon bout de temps, c’est en effet comme ça qu’on a vu les choses.