Voir ‘1991 : Un projet de recherche’…
… Mer Ligure, talus provençal et Corse
L’année 1992 commence de bonne heure pour les prospections, avec d’emblée 16 journées de mer en hiver et au printemps. Et comme on peut changer une équipe qui gagne, nous écopons d’un mousse additionnel ; prénommé Adrien, il ne sera pas opérationnel avant deux années.
Le printemps ne nous réserve pas de surprise : Stenella et rorquals sont au rendez-vous. L’été sera consacré davantage aux talus qu’au plein large : il apparaît déjà qu’une fraction de la population de dauphins bleus et blancs serait non migratrice et plutôt côtière.
Notre prospection d’été ne commence que le 10 juillet, le temps d’écluser conseils de classe et autres réjouissances professionnelles. Nous ferons deux allers et retours vers la Corse, avec quelques parties de trajets nocturnes.
Nous échantillons méthodiquement tout l’ouest de la Corse, du cap jusqu’au Canyon de Castelsardo, ce qui nous vaut de rencontrer deux groupes de dauphins communs Delphinus delphis, dont un mélangé avec un groupe de Stenella.
D’ailleurs à cette occasion, nous comprenons d’un seul coup la différence de régime alimentaire entre ces deux espèces de taille identique. Il se trouve en effet que le groupe mixte évolue au voisinage d’une très grosse bâche en plastique (genre couverture de maraîchage), sous laquelle une boule de poissons bleus (des anchois, je crois) a trouvé abri.
Et bien, alors que les Stenella restent peinards en sub-surface en nous gardant à l’oeil, les Delphinus tournicotent sans arrêt autour du plastique pour tenter d’en débusquer les petits poissons. Comme quoi, des fois, 30 minutes de terrain valent bien des pages de littérature !
Cette année, le laboratoire de Montpellier nous suggère de faire un peu de photo-identification de rorqual, quand c’est possible. Et comme de fin-juillet à début-septembre, il y a de nombreuses baleines (à nouveau) dans la zone Est-Provence, nous passons plusieurs journées à photographier les paisibles, et parfois facétieuses, baleines.
A deux occasions, je me mets à l’eau pour tenter de faire des photos sous-marines des gigantesques créatures: beau temps calme, approche avec le teuf-teuf de 15 chevaux à petit régime, et puis force palmage. Car même quand on a l’impression qu’elles ne bougent pas, elle avancent, les bougresses.
Nous poussons la saison d’été jusqu’à début-septembre, après quoi il faut rentrer travailler. Et en plus des cours à donner le jour, il y a toute l’océanographie méditerranéenne à apprendre le soir, en partant de rien, avec quelques livres et des publications. On appelle ça ‘enseignant-chercheur’.
Autant l’été fut favorable, autant la prospection de Toussaint est réduite : à peine 3 journées de prospection sont effectuées cet automne. Qu’à cela ne tienne, nous finissons l’année avec … 225 observations pour 53 journées de mer. Et surtout, nous avons enfin observé notre septième espèce ‘commune’ de Méditerranée.
Pourtant, on ne peut relater cette année 1992 sans aborder le problème des filets dérivants, toujours plus présents (ils sont coréens pour la grande presse, mais italiens dans la réalité … allez comprendre). Les mortalités de dauphins, de cachalots, de globis … commencent à faire du bruit.
Vers la fin du mois d’août, l’association RIMMO nous ‘envoie’ une équipe de reporters de TF1, avec Florence Schaal accompagnée d’un cadreur et d’un preneur de son. On ne saura jamais qui fut le plus surpris ce matin-là: eux, de devoir embarquer dans un si frêle voilier, ou moi, d’accueillir une équipe munie d’un matériel si impressionnant.
Après avoir vu quelques groupes de dauphins, mes invités journalistes sont quelque peu … médusés … de se trouver dans le souffle odorant d’un rorqual commun. Contrat rempli donc pour le petit GREC et la petite Anacaona.
Et ce reportage télé sera tout bénèf pour les cétacés, car comme chacun sait ‘quand il y a une caméra de TF1, le ministre n’est pas bien loin’. Surtout quand la ministre de l’environnement s’appelle … Mme Royal !
Fin 1992, nous avons l’impression d’avoir assez bien compris la zone liguro-provençale: depuis 1988, nous y avons même effectué 68 journées de prospection en automne, hiver et printemps. De quoi bousculer les hypothèses établies auparavant sur les déplacements saisonniers des espèces. Mais quand même, le cachalot reste un peu mystérieux, on en voit peu (et pour cause). De plus, ce drôle d’animal appelé Ziphius demeure un inconnu total.