Mortalité par pêche en Gascogne : le vent a-t-il tourné cet hiver ?

Captures de Dauphins communs en 2021 : un premier bilan

Alors que l’Union Européenne avait tapé du poing sur la table en 2020, les mortalités hivernales étaient sous les projecteurs. La France avait refusé les mesures énergiques qui lui étaient conseillées, et avait plutôt semblé jouer la montre… pour quels résultats ?

Les Dauphins communs de l’Atlantique (ici vu en hiver 2021) ne sont toujours pas protégés en France

Parmi les engagements annoncés par le ministère de la mer à l’approche de l’hiver, la plupart (observations en mer, déclarations censément systématiques des captures, etc) correspondait malheureusement à des mesures déjà précédemment en place. Un point était cependant nouveau et intéressant, et concernait la communication régulière vers le public tout au long de la période considérée comme particulièrement à risque (de décembre à avril).
Cette communication s’est faite au travers de bulletins d’information rédigés toutes les deux semaines, et résumant les données pertinentes pour chaque période : nombre d’échouages sur la façade, nombre de captures constatées par les observateurs en mer et nombre de déclarations spontanées par les pêcheurs, notamment.

La transparence sur ces points permet à tout citoyen (surtout s’il achète du poisson !) de se faire un avis sur cette problématique et sur l’effet éventuel de la politique gouvernementale en matière de protection des dauphins français. Certains de nos lecteurs ont déjà sûrement épluché ces bulletins ; pour ceux qui ne l’auraient pas encore fait, en voici une rapide analyse.

En sait-on plus sur l’origine des captures ?

Historiquement, les captures de Dauphins communs dans le Golfe de Gascogne ont plutôt été attribuées aux chaluts pélagiques, avant que plusieurs observations montrent que les fileyeurs ont également un impact non négligeable. En l’absence de la fermeture totale de la pêche qui avait été conseillée à la France mais non appliquée, des études complémentaires devaient donc permettre d’y voir un peu plus clair ; un programme ambitieux d’observation volontaire des navires de pêche devait répondre à cela, et un budget important avait été annoncé à cet effet, prévoyant l’observation de 1000 marées cet hiver.

396 marées ont finalement été observées, dont seulement… 22 sur engins trainants (engins de pêche de la famille des chaluts, par opposition aux engins dormants tels que les filets posés), et les conclusions ne sont donc pas faciles à tirer. 39 captures ont été documentées.

Peu de grosses unités surveillées, mais des taux de captures importants

On peut au moins constater que les fileyeurs semblent avoir des taux de [dauphins capturés]/[marées observées] plutôt faibles (mais il ne faut pas oublier que ces navires sont nombreux), tandis que le taux est beaucoup plus important pour les chalutiers, qui ont concentré la majorité des captures observées alors que très peu de marées ont été surveillées (fin-janvier par exemple : 12 captures observées en seulement 2 marées !).

Les échouages ont-ils diminué ? A-t-on obtenu une diminution des captures cet hiver ?

Alors que l’hiver commençait mal (rappelons nous que les records d’échouage étaient battus en janvier…), la presse s’est au printemps fait écho d’une nouvelle rassurante : le comité des pêches annonçait une baisse spectaculaire des échouages cet hiver, d’environ 30% par rapport à 2019 et 2020.

Est-ce vrai ? Oui, les chiffres précis ne sont pas encore consolidés mais une baisse importante des échouages a effectivement été constatée. Est-ce rassurant ? Rien n’est moins sûr !

Nous pouvons tracer l’évolution des trouvailles de cadavres au cours de l’hiver :

2021, un pic fin-janvier et puis plus rien..?
(NB : en 2020, signalements cessés mi-mars pour cause de confinement)

On constate une hétérogénéité très forte du nombre d’échouages cette année, avec des valeurs importantes fin janvier et début février, puis un nombre d’échouages très faible alors que des déclarations et des observations de captures continuaient à avoir lieu : les cadavres ont-ils arrêté d’atterrir sur les plages ? Comment peut-on expliquer ce phénomène ?

La piste qui vient naturellement à l’esprit, en particulier en ayant assisté à des conditions météorologiques plutôt atypiques cet hiver, est celle de conditions de dérive ayant cette année empêché les échouages, et donc ayant partiellement masqué le phénomène de captures.
A défaut d’avoir accès aux modèles de dérive gouvernementaux, nous pouvons réfléchir à une façon d’approximer les conditions de dérive afin d’essayer d’y voir plus clair.

Nous avons pour cela choisi d’utiliser simplement les données de vent hivernales, pour un point de référence choisi arbitrairement au large des côtes françaises. Nous avons extrait des données élémentaires des bases européennes publiques Copernicus, que nous avons agrégées par quinzaines puis projetées, compte-tenu de la position de notre point de référence et d’une influence de la force de Coriolis, sur un axe Est-Nord-Est. Cet indicateur « maison » est-il pertinent pour juger des conditions de dérive ? Voyons s’il est corrélé aux données d’échouage fournies pour les trois derniers hivers par le ministère et le RNE.

Vent et échouages : un rapport statistiquement probant

On obtient une corrélation de bonne qualité (r=0,82 et p<10-4), et nous pouvons donc confirmer mathématiquement que la force et la direction du vent (avec, pour notre emplacement focal, une provenance OSO maximisant la trouvaille des cadavres sur les plages) sont bien impliquées dans le phénomène d’échouages hivernaux.

Plus en détail sur ce début d’année, nous pouvons vérifier qu’il y a eu des variations considérables au niveau de ce vent : alors que la météo hivernale habituelle consiste plutôt en des vents d’Ouest, nous n’avons eu en 2021 des conditions « normales » que de fin janvier à début février, puis le vent est carrément venu de l’Est.

Une météo atypique a fait diminuer les échouages… mais pas la mortalité

Il est alors assez logique, dans ces conditions, que les échouages partis sur des bases record en début d’hiver se soient finalement calmés, mais il n’y a donc rien de rassurant à y trouver : cette diminution n’est probablement pas due à une baisse notable des captures, et le facteur multiplicateur permettant de passer du nombre de cadavres échoués au nombre de dauphins vraisemblablement tués sera probablement bien supérieur en 2021 à ce qu’il était en 2019 et 2020.

Or, ce qui nous intéresse réellement, ce sont les mortalités, plusieurs milliers cette année encore… ; les échouages ne sont qu’un thermomètre (qui certes s’est décalibré cet hiver) mais ne constituent pas un objectif en eux-mêmes.

D’ailleurs, mis à part l’équipement en balises acoustiques dissuasives des chaluts pélagiques et autres, qui n’a pas montré une efficacité suffisante (plusieurs prises ont été constatées), aucune technique spécifique n’a été mise en œuvre pour diminuer les captures. Un point positif quand même, le programme d’actions a produit une augmentation des signalements de capture (obligatoires depuis janvier 2020), avec 116 cétacés déclarés capturés. Cette forte progression est un bon signe pour l’avenir… mais elle ne fait pas diminuer les captures.

Il existe plusieurs mécanismes financiers qui permettraient de compenser une interruption de la pêche à la période la plus critique… mais gouvernement et pêcheurs ne veulent pas en entendre parler

De multiples organismes scientifiques internationaux ont indiqué que la seule façon de diminuer les captures de dauphins, qui menacent la population, était à ce stade de fermer les pêcheries pendant la période la plus à risque de l’hiver… un mois serait suffisant pour diminuer la gravité de la mortalité. Mais le gouvernement se retranche derrière l’absence d’évidence du risque pour la population de dauphins et continue à proposer des études scientifiques supplémentaires… ce qui lui permet de ne pas forcer la main au secteur de la pêche.

Sans pression de l’opinion publique, des milliers de dauphins continueront à périr dans les engins de pêche

Les dauphins ne votant pas et ne bloquant pas les ports, on doit craindre que la même logique politique produira les mêmes résultats en 2022, 2023,… Pauvres dauphins !

Adrien, Alexandre et cetaces.org