Vous avez fini de payer pour les regarder ? Alors, on les tue !
Le bruit a couru depuis quelques mois que l’Islande, l’un des trois pays au monde à assumer sa pratique de la chasse baleinière commerciale, était sur le point d’arrêter cette activité d’exploitation des baleines (abattues), au profit d’une autre, le whale-watching, un certain nombre d’opérateurs promettant aux touristes de voir des cétacés (vivants) lors de sorties de 3h en général au départ de quelques ports de l’île.
En effet l’Islande était membre de la Commission Baleinière Internationale (International Whaling Commission) lorsque celle-ci a décidé en 1982 le moratoire sur la chasse commerciale. Elle a cependant quitté le groupe en 1992, mais a à nouveau adhéré en 2002, tout en posant des conditions : elle acceptait le moratoire s’il n’était que provisoire, et s’engageait à respecter une gestion, comprenant des quotas, déterminés par des résultats scientifiques, et la liste du statut des espèces de l’IUCN. Elle n’a donc pas renoncé à chasser et a effectivement repris en 2006, au motif que ses « stocks » de rorquals communs et de baleines de Minke n’étaient pas en danger autour de l’île.
Les prises ont d’abord repris doucement, puis se sont accélérées, au point d’atteindre 155 rorquals communs et 29 Minke en 2015 par exemple, pour un total de 352 rorquals et 437 Minke entre 2006 et 2021, soit un cétacé par semaine en moyenne pendant 16 ans.
Évidemment, rapporté au nombre très élevé de prises opérées par la Norvège, de l’ordre de 10 fois plus, on peut considérer l’Islande comme presque vertueuse. Au nombre des rorquals abattus figurait d’ailleurs un « hybride » de baleine bleue (ou une baleine bleue ressemblant à un rorqual…).
Un premier indice encourageant était le nombre réduit d’animaux abattus depuis 2019. L’une des raisons de cette baisse, pourtant, étant une demande moins importante de la part du Japon, qui a recommencé la chasse commerciale précisément en 2019, après des années de chasse dite « scientifique », qui ne le cédait en rien à la chasse commerciale au niveau du résultat en termes d’animaux tués.
Sans doute la demande locale en viande de baleine est-elle moindre, les quelque 370 000 habitants de l’Islande ayant peut-être désormais autre chose à leur menu favori. Un autre indice encourageant était la promesse, annoncée jusqu’à il y a peu, de cesser la chasse baleinière en 2024 – avec le dernier baleinier encore en activité, Hvalur, après l’arrêt d’une autre entreprise en 2020.
Troisième indice favorable : la chasse s’était interrompue en début d’été, en juin 2023, après la publication d’un rapport concluant que la chasse à la baleine n’était pas respectueuse de la loi sur le bien-être animal.
On en était à se réjouir de ce que l’Islande, comprenant les aspirations des nombreux touristes qui viennent visiter l’île pour ses atouts naturels, s’adonne désormais au whale-watching, une baleine bien en vie et agréable à regarder dans son milieu naturel rapportant davantage qu’un cadavre de baleine découpé dans une station industrielle. On peut émettre des réserves quant à des sorties de seulement 3h garantissant sur facture la rencontre avec un cétacé, mais c’était une révolution positive.
Seulement voilà. La saison touristique semble battre son plein de mai à septembre. Les optimistes ont dû déchanter dès le 1er septembre. La plus grande partie des touristes clients des tour-opérateurs n’avait pas plutôt tourné les talons que la ministre de l’agriculture, Svandis Svavarsdottir, qui semble-t-il n’a rien d’une sentimentale, a autorisé la reprise de la chasse, ayant « de façon inexplicable décidé d’ignorer les conclusions scientifiques univoques qu’elle avait elle-même sollicitées montrant que la chasse commerciale à la baleine est cruelle et brutale », selon un communiqué de Ruud Tombrock, directeur exécutif de la Humane Society International (HSI).
La ministre affirme qu’elle a « une base pour changer les méthodes de chasse aboutissant à de moindres irrégularités et par conséquent à une amélioration du point de vue du bien-être animal ». L’agonie des baleines harponnées serait par conséquent prise en considération, leur bien-être n’allant toutefois pas jusqu’à la conservation de leur vie. Selon la même source, le quota actuel de l’Islande serait de 209 rorquals communs et de 217 petits rorquals.
Finalement se dévoile le processus cynique et froidement calculateur de l’exploitation de l’environnement. Derrière les discours sur le « bien-être animal » (le parti de gauche écologiste ayant eu 12,6% des voix aux élections législatives de 2021, en accusant un recul de 3 sièges sur les 63 du Parlement) ne se profile que la considération des ressources et des profits.
Si la chasse ne rapporte plus assez, les frais de campagne (après une extension de l’interdiction de pêche côtière) n’étant pas forcément couverts par la vente des produits, on y renonce partiellement. Si le whale-watching rapporte davantage en été que la chasse, aux yeux des touristes qui préfèrent voir les baleines que les manger, on suspend une activité au profit de l’autre. Et quand les touristes s’en vont…
Une enquête menée par l’institut Maskina début juin 2023 avait montré que les Islandais étaient maintenant à 51% opposés à la chasse baleinière (contre 42% il y a 4 ans). Comme ce sont les jeunes de 18-29 ans qui sont les plus opposés à cette pratique, et les plus de 60 ans qui la soutiennent… espérons que dans un avenir proche l’Islande abandonnera enfin cette chasse d’un autre âge.
Odile et cetaces.org