Biodiversité : la théorie du mort inversement kilométrique
On apprend en journalisme la loi de proximité, autrement appelée « mort kilométrique », comme facteur d’impact auprès du public, selon une tendance supposée naturelle : on s’intéresserait cent fois plus au trépas de son voisin de palier qu’à un décès à déplorer à 100 km de chez soi ; il faudrait 100 morts en Chine pour contrebalancer l’annonce d’un mort dans sa ville. Il s’agirait là d’une loi psychologique universelle que nul ne pourrait contredire.
Très curieusement, cette règle admet une exception de taille. Il s’agit du nombre de morts d’animaux sauvages. Certes les massacres d’éléphants en Afrique sont une catastrophe écologique et nos ministres aiment à donner des leçons de déontologie aux gouvernements des pays qui abritent et négligent de tels animaux, dont la survie devient l’affaire de l’humanité entière. Chez nous, en revanche, prendre des arrêtés pour abattre des espèces protégées, cela ne semble déranger personne. Cette différence de traitement contrevient à l’évidence à la loi du mort kilométrique ; elle est même en proportion inverse.
Ainsi, l’actualité de ce début février attire l’attention de tous les médias, pris d’empathie et de conscience écologique soudaines, sur l’échouement de 400 globicéphales en Nouvelle-Zélande – appelés « baleines » pour l’occasion, par suite de la traduction des dépêches anglophones qui parlent de « pilot whales ». Mais le mot de « baleines » et la taille supposée des animaux ont aussi l’avantage indéniable de frapper davantage l’imagination du public. On ne peut certes que regretter la mort de ces delphinidés, et faire chorus avec leurs sauveteurs.
Dans le même temps cependant, une dépêche discrète annonçait l’échouement d’une centaine de dauphins sur le littoral atlantique, sur nos propres côtes. Là, ni tambours ni trompettes. L’information est assez peu reprise. Un des rares articles s’interroge sans enthousiasme sur les traces d’engins de pêche sur la quasi-totalité des cadavres ramenés à la rive par les tempêtes (ces dernières n’étant pas réputées mettre les mammifères marins en danger). Quel mystère alors !
A lire l’article, on ne sait plus trop quoi penser : le protocole scientifique n’avait-il pas tout prévu ? Le pêcheur qui capture une espèce protégée ne doit-il pas déclarer son acte ? D’ailleurs selon le même article, quand un pêcheur prend un dauphin, il a bien des difficultés à le remettre à l’eau, tant il est lourd. De plus, les dauphins se prennent eux-mêmes dans les filets, et parfois ils les détériorent, perturbant ainsi la pêche. Enfin, il est impossible de savoir quel bateau les a capturés par erreur… L’enquête semble donc s’arrêter dès que la fiche d’échouage est remplie ; on attendrait alors d’autres mesures gouvernementales que la déclaration volontaire des prises.
Pas étonnant donc que l’information ne traite pas de façon identique ces deux événements quasi-simultanés: à quoi bon parler de la centaine de dauphins échoués vers l’île d’Oléron ? D’autant que l’effet de masse est moins impressionnant si les dauphins s’échouent régulièrement mais en petit nombre à chaque fois – même à considérer que l’on parlerait, au total, d’au moins mille ou deux mille cétacés tués chaque année. Parlons donc plutôt de ces baleines échouées exactement aux antipodes, sans doute victimes d’une ‘nasse naturelle’, c’est bien plus palpitant…
On est capable de s’apitoyer sur le sort des 400 globicéphales de Nouvelle-Zélande et de suivre, navré, les efforts des sauveteurs, mais les centaines de dommages collatéraux de la pêche qui s’échouent chaque année sur nos côtes n’ont droit qu’à quelques larmes de crocodile au sein de la médiasphère…
En complément de ce constat sur le traitement de ces échouages par la presse grand-public, nous conseillons à nos lecteurs de consulter le rapport scientifique publié par l’Observatoire Pelagis, nettement plus clair et instructif à propos de ces dauphins communs … finalement pas si mystérieux !
Odile et cetaces.org