Des dauphins en sursis ?
Deux études récentes viennent attirer notre attention sur le groupe d’espèces de cétacés le plus menacé à notre époque: celui des dauphins de rivière. Ce groupe réunit actuellement trois espèces ou sous-espèces: le dauphin du Gange (Platanista gangetica gangetica) et son proche cousin le dauphin de l’Indus (Platanista gangetica minor), le boto ou dauphin de l’Amazone (Inia geoffrensis). Une autre espèce leur est très similaire, mais vit plutôt dans les estuaires et milieux côtiers d’Amérique du Sud-Est: la franciscana ou dauphin de la Plata (Pontoporia blainvillei). Ce groupe, avec le baiji (Lipotes vexillifer) disparu depuis une décennie, forme un ensemble hétérogène au niveau de la systématique (genres différents), mais néanmoins fort bien identifié par des critères morphologiques communs, et leur habitat. Une dernière espèce, le tucuxi (Sotalia fluviatilis), est classée dans les vrais delphinidés, le genre Sotalia se déclinant en deux espèces: une de rivière (S.fluviatilis) et une côtière (S. guianensis).
La première étude, celle de Tawqir et al. (Factors determining occupancy of Ganges River dolphin (Platanista gangetica gangetica) during differing river discharges in the upper Ganges, India; Mammalia 76(4), 2012) s’attache à déterminer l’habitat de l’espèce sur un petit tronçon du Gange (longueur 165 km) dans le nord de l’Inde, compris entre deux gros barrages. L’étude est basée sur des prospections visuelles en bateau.
Cette espèce, dont la population avoisinerait 1300 individus, semble confinée aux zones de profondeur suffisante (quelques mètres), avec des ressources suffisantes en petits poissons. Le taux de détection visuelle est d’environ 0,24 dauphin par km. Un minimum d’une cinquantaine de dauphins habitent la zone et la menace principale est la capture accidentelle dans les filets des pêcheurs. On peut ajouter que le fractionnement de la population dû aux nombreux barrages construits sur cet ensemble fluvial est une menace forte à long terme.
La seconde étude porte sur le boto et le tucuxi, dans une région de l’Amazone central (Pinto de Sà Alves et al. (Conflicts between river dolphins (Cetacea: Odontoceti) and fisheries in the Central Amazon: A path toward tragedy? Zoology 29 (5), 2012). La population de boto dépasse 10000 individus dans le bassin de l’Amazone, et celle de tucuxi excède plusieurs dizaines de milliers. Mais une forte mortalité anthropique affecte les deux espèces, en raison de captures accidentelles, et de plus en plus, de chasse volontaire.
L’étude consiste en une série d’interviews visant à préciser la nature des relations entre dauphins et pêcheurs, de plus en plus conflictuelles. En effet, les dauphins de l’Amazone, autrefois protégés par les traditions des populations indiennes, sont maintenant vues de plus en plus comme des concurrents ou des nuisibles par une population humaine en expansion (démographie galopante) en quête de toutes les ressources naturelles disponibles.
A travers ces deux exemples radicalement différents, on mesure quelle sera la difficulté de conserver des populations viables de dauphins de rivière, tout au long du 21e siècle. Il va de soi que toutes les initiatives locales pour protéger ces animaux doivent être encouragées.
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