En Polynésie française, le GREC s’est consacré à la recherche pendant 9 années dans 4 archipels, accumulant près de 1500 observations et publiant six articles dans des journaux scientifiques internationaux.
Les peuplements de cétacés y sont structurés par les différents archipels qui occupent un immense domaine de l’océan Pacifique tropical.
Aux Marquises, aux Tuamotu, dans la Société, aux Gambier et aux Australes :
- La Baleine à bosse ou Mégaptère investit les différents archipels de juillet à décembre alors que les populations d’odontocètes de chaque archipel sont distinctes
A Tahiti et dans l’archipel de la Société, 4 espèces constituent l’essentiel des observations d’odontocètes :
Aux Marquises, nous avons identifié un peuplement de delphinidés très diversifié et abondant :
- Le Dauphin d’Electre est abondant
- Le Dauphin tacheté également abondant
- L’Orque épaulard est fréquent
→ En savoir plus sur nos prospections aux Marquises…
Aux Tuamotu, le peuplement est caractéristique :
- Les bandes de Grand dauphin gardent les passes
- Le Cachalot est régulier
D’autres espèces rencontrées au hasard des prospections :
- Le Dauphin de Fraser
- Le Faux orque
- Le Dauphin de Risso
- L’Orque pygmée
- Le Cachalot nain
- Le Ziphius
- Le Rorqual de Minke
Mais il y a encore des espèces que nous n’avons pas eu le temps de rencontrer, enregistrer et photographier !
Une mosaïque de peuplements
La Polynésie Française comprend 121 îles étalées sur plus de cinq millions de kilomètres carrés, depuis Hatutu, la plus septentrionale des Marquises (8°S, 141°W) jusqu’à Rapa la plus méridionale des Australes (28°S,144°W), en passant par Mangareva (135°W) et Motu One, la plus occidentale des Iles de la Société (155°W). L’extension de ce domaine est de 2200 kilomètres en latitude et 2000 kilomètres en longitude. On n’est pas étonné de découvrir que les peuplements de cétacés que l’on rencontre dans chaque archipel diffèrent significativement et vont même jusqu’à être influencés par la forme des îles.
On compte 82 espèces de baleines, cachalots et dauphins appartenant à deux grands groupes: les odontocètes (à dents) et les mysticètes (à fanons). D’après les cartes de distribution disponibles, on peut estimer que 25 espèces de cétacés sont probablement présentes en Polynésie à un moment de l’année ou à un autre. Seize ont été recensées avec certitude (et même 17, si on ajoute le petit rorqual), elles appartiennent à quatre familles :
- Les balénoptéridés (le mégaptère)
- Les delphinidés (dauphins, orques, globicéphales, 11 espèces recensées)
- Les physetéridés ou cachalots (2 espèces recensées)
- Les ziphiidés ou baleines à becs (2 espèces recensées)
Le peuplement établi au cours de prospections en bateaux menées de 1996 à 2004, montre que seules 6 espèces sont réellement fréquentes : le dauphin à long bec, le dauphin à bec étroit, le dauphin tacheté, le dauphin d’Electre, le grand dauphin, et bien sûr le mégaptère. Mais cette statistique globale est en réalité trompeuse, car les cinq archipels de Polynésie Française offrent des « niches » bien particulières où peuvent s’exprimer des peuplements de cétacés différents : îles hautes (Australes, Société) avec ou sans récif barrière, émergeant d’un océan oligotrophe ou mésotrophe (Marquises), atolls des Tuamotu, les Gambier.
Au nord, aux Marquises, on n’est pas loin de la bande équatoriale, productive, et les eaux de surface prennent souvent la couleur verte indicatrice d’une « biomasse » importante (concentration élevée de plancton végétal). Au sud, on aborde les eaux subtropicales oligotrophes, plus fraîches de 5°C aux Australes. A l’est, aux Tuamotu, le grand tourbillon anticyclonique garantit des eaux d’une limpidité sans pareille, appauvries en plancton, mais riches de milliers de kilomètres de barrière corallienne.
Mais la topographie des îles a aussi son importance sur la richesse locale de l’océan. Si toutes les îles polynésiennes ont pour point commun un socle volcanique qui s’élève depuis le plancher océanique jusqu’à la surface avec une pente de 10-20 degrés, d’autres facteurs contribuent à un phénomène d’ « oasis marin » plus ou moins accentué autour de chacune d’entre elles: la forme des îles, du récif barrière, l’étendue du lagon, les passes… Et cet effet d’oasis semble être d’autant plus important que les îles sont nombreuses et rapprochées, il est donc minimal aux Australes et peut-être très fort aux Tuamotu. Des prospections intensives dans quatre archipels (Société, Marquises, Australes, Tuamotu) permettent d’esquisser la mosaïque des peuplements de cétacés en Polynésie.
Les archipels
Ce chapelet d’îles au milieu du Pacifique se conjugue avec l’océan pour engendrer le contraire de l’uniformité, une mosaïque où chaque île forme une pièce unique. Les découvertes récentes justifient amplement la création du Sanctuaire pour les mammifères marins de Polynésie Française. Mais ce vaste domaine peuplé de cétacés très divers reste encore peu exploré. De nombreux travaux seront nécessaires pour éclairer l’écologie locale d’espèces qui sont parfois elles-mêmes peu connues.
Archipel de la Société : le peuplement le plus complet
Avec plus de 10 000 kilomètres parcourus, nous avons un résultat assez précis à Tahiti et aux Iles-sous-le-Vent. L’archipel de la Société est le seul où 4 familles de cétacés soient recensées (balénoptères, baleines à bec, cachalots et dauphins). Bien entendu, cet archipel abrite les mégaptères en saison froide (sujet déjà abordé dans ces colonnes). Des espèces comme le dauphin à bec étroit, le dauphin à long bec ou le mésoplodon de Blainville sont remarquablement représentées. On relève une abondance relative d’environ 1,5 groupe de dauphins pour 100 kilomètres parcourus en prospection. La diversité est assez élevée avec 8 espèces de dauphins et il y a généralement une grande concentration des cétacés près des îles (sauf pour le cachalot). L’ « effet d’oasis » est donc fort autour de ces îles.
Graphique 2: Peuplement de dauphins de l’archipel de la Société
Archipel des Marquises : le paradis des dauphins
Plus de 4000 kilomètres de prospection au Henua Enana nous ont montré que cet archipel était un paradis pour 10 espèces de delphinidés. Par contre, les mégaptères y montent rarement et notre surprise a été de ne pas rencontrer de cachalot malgré 1200 écoutes à l’hydrophone. L’abondance relative est de 4 groupe de dauphins pour 100 kilomètres et on rencontre ces dauphins également en pleine mer. La diversité est très élevée chez les dauphins avec 6 familles représentées (graphique 3). On a une moindre concentration des cétacés autour des îles.
Graphique 3: Peuplement de dauphins de l’archipel des Marquises
Archipel des Australes : le havre des baleines
Première étape sur la route de migration des baleines en provenance de l’océan Antarctique, l’archipel des Australes constitue un site de choix pour les mégaptères : cette espèce fréquente au moins les îles de Rimatara, Rurutu, Tubuai et Raivavae, ainsi que plusieurs zones de monts sous-marins. Après trois séries de prospections, nous n’avons pas observé de dauphins autour de ces îles, ni au large. Par contre, les baleines à bec sont présentes autour de plusieurs îles.
Les Gambier : une énigme ? Les mégaptères s’y arrêtent volontiers durant leur migration. Une étude de terrain préliminaire nous a révélé l’absence de dauphins dans le « lagon » des Gambier ; pourtant tout semble indiquer que cet archipel riche en poissons avec des profondeurs assez faibles offre un habitat très adapté au grand dauphin « Tursiops ». Où seraient-ils passés ? Auraient-ils été mangés par des requins plus féroces qu’ailleurs ? Dérangés par les hommes ? Bref, on ne sait pas et on aimerait savoir.
Archipel des Tuamotu : encore un cas à part
Cet ensemble de 70 îles a été prospecté dans sa partie nord et centrale. Des observations montrent la variété des espèces de dauphins (au moins 9 espèces) et la présence du mégaptères et du cachalot. Les milliers de kilomètres de barrière corallienne plongeant dans un océan profond : les mésoplodons sont à leur place. Cet archipel se trouve entre les Marquises et la Société, et de manière saisonnière il reçoit des eaux légèrement enrichies en plancton. Les eaux du lagon, plus riches, sont échangées avec l’océan au travers des passes qui sont le lieu de rassemblement et de migration de myriades de poissons, attirant quantité de prédateurs, dont les delphinidés : les Tursiops règnent sur ces passes. Mais la grande surprise fut de constater que les Tuamotu étaient un lieu d’hivernage privilégié des baleines.
Les îles – oasis
L’océan polynésien est profond de 3000 à 4500 mètres. Loin d’être uniforme, la masse d’eau océanique est en fait la superposition de plusieurs couches d’origines différentes. Juste au dessus du plancher, on trouve ainsi une eau de fond (température 0-2°C), puis les couches d’eaux antarctiques profondes et intermédiaires (température inférieure à 8°C). Au-dessus de 600-800 mètres de profondeur, la température de l’eau croît rapidement pour atteindre la fourchette de 23°C-25°C entre 100 et 200 mètres de profondeur.
Les eaux de surface sont le plus souvent pauvres en minéraux et plancton, alors que les eaux profondes regorgent de sels nutritifs (nitrates, phosphates, silicates)… mais manquent de lumière pour assurer la croissance du plancton végétal. Ces sels minéraux ne peuvent remonter en surface en raison de la « thermocline », une barrière créée par les écarts thermiques entre les eaux de surfaces « légères » et les eaux profondes, « lourdes ». L’océan polynésien est ainsi réputé pour sa pauvreté au large.
Pourtant nombre de cétacés vont y trouver un milieu propice à leur existence grâce à des phénomènes à petite échelle dus à la présence des îles. Ces îles qui s’avèrent être donc de véritables oasis dans l’océan… L’effet d’oasis local varie en intensité selon les facteurs topographiques qui créent des îles aux « personnalités » si variées. Au nombre des caractères qui influent sur cette « personnalité insulaire », on trouve :
- L’orientation des îles par rapport au courant portant à l’ouest (0,5 à 3 km/h en général, du fait du vent dominant) a beaucoup d’influence : l’île présente un obstacle à l’écoulement et génère une accélération du courant le long de ses extrémités. Ce phénomène peut aboutir à la création de tourbillons où les eaux marines subissent des déplacements verticaux qui enrichissent les eaux de surface, d’où un enrichissement biologique
- Les îles hautes (Société, Marquises, Australes) bénéficient d’une pluviosité plus importante que les îles basses (nuages orographiques) : les rivières et les passes associées assurent un transport de débris minéraux et organiques vers l’océan, d’où un accroissement local de l’abondance biologique
- Dans les îles basses ou les atolls (Tuamotu, Maupelia, Maria) le rôle de la passe est déterminant: en raison de l’ensachage du lagon, les puissants courants sortant entraînent avec eux des débris qui génèrent un enrichissement local ; les eaux intérieures des atolls sont également plus riches que l’océan
- Enfin, les îles Marquises (et les Gambier) comportent une zone de plateau sous-marin peu profond (40-50m) qui sont des sites privilégiés pour toutes les proies des dauphins.
Sans compter l’éventuel « effet d’île » généré par les monts sous-marins, encore mal étudié.
Après 9 années d’études passionnantes, le GREC a interrompu ses recherches cétologiques en Polynésie française, avec un bilan en terme de résultats plus que flatteur. Souhaitons que d’autres groupes de passionnés rencontrent le même succès.