Des cétacés nombreux et… peu connus
Les mésoplodons sont les plus fascinants des cétacés, au moins pour les cétologues avertis : le genre Mesoplodon est le plus prolifique de tous, 15 espèces, et pourtant ces animaux sont les moins connus de tous les cétacés. Les mésoplodons sont en effet peu visibles en mer, ils mesurent presque 6 mètres, mais ils plongent longtemps et sont difficiles à observer car ils réapparaissent souvent à des kilomètres de l’endroit où ils se sont éclipsés. Il faut de très bonnes conditions de mer pour vraiment observer les mésoplodons.
Une seule espèce de mésoplodon est cosmopolite, le mésoplodon de Blainville (M. densirostris), les autres étant distribuées sur un seul bassin océanique, ou dans deux. Outre cette espèce, trois mésoplodons fréquentent la France métropolitaine et les départements d’Outremer : le mésoplodon de Sowerby (M. bidens), le mésoplodon de Gervais (M. europaeus) et le mésoplodon de True (M. mirus). Elles ont toutes été signalées par des échouages en métropole, l’espèce la plus fréquente étant le ‘bidens‘, échouée et vue en Manche, golfe de Gascogne et Méditerranée.
Si vous débutez en mésoplodonologie …
Les mésoplodons constituent un genre de la famille des ziphiidés (odontocètes, bien sûr) et appartiennent à la catégorie des ‘plongeurs profonds’ : ils peuvent sonder à plus de 1000 m pendant plus d’une heure. Ils habitent dans les eaux profondes, en général, et se nourrissent de calmars et, minoritairement, de poissons. Ils sont de taille moyenne, entre 4,50 m et 6 mètres selon les espèces, et forment de petits groupes, 1 à 10 individus.
Mesoplodon bidens | Mésoplodon de Sowerby |
Mesoplodon bowdoini | Mésoplodon d’Andrew |
Mesoplodon densirostris | Mésoplodon de Blainville |
Mesoplodon carlhubbsi | Mésoplodon de Hubbs |
Mesoplodon europaeus | Mésoplodon de Gervais |
Mesoplodon ginkgodens | Mésoplodon du Japon |
Mesoplodon grayi | Mésoplodon de Gray |
Mesoplodon hectori | Mésoplodon d’Hector |
Mesoplodon hotaula | Mésoplodon de Deraniyagala |
Mesoplodon layardi | Mésoplodon de Layard |
Mesoplodon mirus | Mésoplodon de True |
Mesoplodon perrini | Mésoplodon de Perrin |
Mesoplodon peruvianus | Mésoplodon du Pérou |
Mesoplodon stejnegeri | Mésoplodon de Stejneger |
Mesoplodon traversi | Mésoplodon de travers |
Même si le golfe de Gascogne est une région où les ziphiidés, y compris les mésoplodons, sont fréquents, les îles tropicales sont sans conteste les endroits où l’on peut ‘le plus facilement’ observer les mésoplodons, surtout le Blainville. Nous eûmes notre première expérience de l’animal en octobre 1996, au sud-est de l’île de Raiatea : une observation à distance, car ne connaissant pas ces animaux, nous ne voulions pas prendre le risque de les effrayer. Par la suite, nous avons constaté que le mésoplodon de Blainville était assez fréquent sur le talus des îles de la Société, formant des groupes de 2 à 6 individus.
Malgré des observations assez nombreuses, cette espèce est restée assez mystérieuse pour nous jusqu’à ce que les travaux de Cascadia Research à Hawaii (à base de photo-identification et balisage) et les expériences de balisage aux Bahamas et aux Canaries livrent des résultats sur M. densirostris. Si l’on excepte quelques études sur M. bidens, cette espèce tropicale est encore de nos jours la mieux connue du genre Mesoplodon. La structure sociale est assez fluide, mais les femelles forment des agrégations plus stables que les mâles. Un groupe de femelles est souvent accompagné d’un voire deux mâles adultes. Les nombreuses cicatrices des mâles indiquent des relations inter-individuelles assez agressives, au moins pour la reproduction.
On est frappé de constater comment les éléments sur l’histoire naturelle des mésoplodons sont encore parcellaires ou peu précis : bien peu d’auteurs avancent des durées de gestation, d’allaitement, ou des âges de maturité sexuelle – sans parler de longévité. Aujourd’hui, en 2020, les mésoplodons demeurent mystérieux.
En tant que cétologue marin, on est suffisamment heureux quand on parvient à déterminer l’espèce avec certitude, car il faut pour cela distinguer, et même photographier, la tête d’un mâle adulte. Par conséquent, nombre d’observations en mer demeurent étiquetées ‘Mesoplodon spp’ … Ainsi, en Atlantique Est, aux Caraïbes, plusieurs de nos rencontres sont assez frustrantes, mais ce sont les règles de la ‘mésoplodonogie’, qui n’est pas un sport de masse.
Aux Açores, trois espèces de mésoplodon sont observées, dont deux couramment, le ‘densirostris‘ et le ‘bidens‘. Nous avons observé ces deux espèces à 5 semaines d’intervalle, en 2014. De vrais moments de bonheur, même si nous ne sommes pas approchés près. Quant au mésoplodon de Gervais, bien qu’il soit ‘europaeus‘, nous ne l’avons jamais déterminé en mer.
A rebours d’une opinion répandue, les mésoplodons ne sont pas méfiants vis-à-vis des bateaux, du moins des voiliers : il est arrivé souvent qu’un groupe s’approche de nous pendant quelques minutes. Par contre ils ont horreur du bruit, d’où peut-être cette réputation de méfiance. D’ailleurs, les mésoplodons figurent parmi les victimes fréquentes des accidents associés aux exercices sonar, comme aux Bahamas en 2000, ou aux Canaries en 2002 (et avant). En France, une série d’échouages incluant deux mésoplodons de Blainville, vivants, durant l’hiver 2008 peut être qualifiée de suspecte.
Notons encore que de belles observations de mésoplodon de Sowerby ont été réalisées par l’association Itsas Arima du pays Basque ; de même un groupe de Mesoplodon europaeus a été très bien observé par le groupe de naturalistes OMMAG de Guadeloupe. Souhaitons à tous de belles rencontres avec ces espèces mystérieuses dans les années à venir … !
Alexandre et cetaces.org