Le peuplement en Méditerranée
Sur 90 espèces de cétacés répertoriées dans le monde, une vingtaine a fréquenté, au moins occasionnellement, la mer Méditerranée. Sur la base des informations des vingt dernières années, seules 18 espèces peuvent être considérées comme faisant partie du peuplement. C’est beaucoup, si l’on se rappelle que la Méditerranée ne communique avec les océans que par deux petits passages : le détroit de Gibraltar, bien sûr, et le canal de Suez.
La topographie sous-marine de la Méditerranée est très variable, générant trois grands types d’habitat: le plateau continental est le moins étendu, et la plaine abyssale est l’habitat de plus grande surface. Entre les deux, on trouve un talus continental: souvent escarpé, il est localement entrecoupé par des canyons sous-marins.
En Méditerranée, le peuplement du bassin occidental est mieux connu que celui du bassin oriental, bien que les connaissances se soient globalement améliorées un peu partout.
Après 30 années de recherche et plus de 5000 observations …
… Nous pouvons distinguer les espèces communes de celles qui le sont moins.
Pour ce qui est des rencontres peu fréquentes, commençons par deux espèces pouvant être considérées comme exceptionnelles: le Rorqual boréal (Balaenoptera borealis) et le Dauphin tacheté (Stenella frontalis). Et ces dernières années, signalons également deux observations de Baleines grises (Eschrichtius robustus), espèce vivant dans le Pacifique mais ayant fréquenté la Méditerranée il y a quelques siècles !
Pour les Kogiidés qui sont peu visibles en surface ou les Mésoplodons, qu’il est parfois difficile de distinguer des Ziphius, il est impossible de savoir s’ils sont exceptionnels ou simplement rares: le Cachalot nain (Kogia sima), le Mésoplodon de Blainville (Mesoplodon densirostris) et le Mésoplodon de Sowerby (M. bidens) ont ainsi un statut incertain. On les retrouve parfois échoués sur les côtes méditerranéennes.
On a ensuite trois espèces qui sont peu fréquentes, mais quand même observées à peu près une fois par an: le Mégaptère (Megaptera novaeangliae), le Rorqual à museau pointu (Balaenoptera acutorostrata), et l’Orque (Orcinus orca), dont une petite population réside vers le détroit de Gibraltar.
Les observations récentes montrent que le Marsouin commun (Phocoena phocoena), dont une sous-espèce fréquente la mer Noire, peut être rencontré en mer Égée, dans le nord du bassin oriental. Ainsi, si vous entendez des pêcheurs provençaux parler des marsouins qu’ils ont vu la veille, il y a de fortes chances pour qu’il s’agisse simplement de dauphins … simple question de langage !
Le cas du Dauphin à bec étroit (Steno bredanensis) a été récemment éclairci: une petite population réside dans le bassin oriental, et peut donc être rencontrée au sud de la Méditerranée. Il semble que la situation soit à peu près identique pour le Faux-orque (Pseudorca crassidens).
Tous ces cas un peu particuliers écartés, il nous reste donc une petite dizaine d’espèces rencontrées régulièrement dans l’ensemble de la mer Méditerranée ; huit (dont cinq espèces de dauphins et une seule de baleine) composent l’essentiel du peuplement, en particulier dans le bassin occidental :
- le Dauphin bleu et blanc (Stenella coeruleoalba)
- le Dauphin commun (Delphinus delphis)
- le Grand dauphin (Tursiops truncatus)
- le Globicéphale noir (Globicephala melas)
- le Dauphin de Risso (Grampus griseus)
- le Ziphius (Ziphius cavirostris)
- le Cachalot commun (Physeter macrocephalus)
- le Rorqual commun (Balaenoptera physalus)
Mais la mer Méditerranée comprend deux bassins principaux (le bassin occidental et le bassin oriental) où l’on distingue des mers régionales (Ligure, Ionienne…): le peuplement varie localement en diversité et abondance. Dans certaines régions l’abondance approche un cétacé par kilomètre carré (mer d’Alboran), et dans d’autres (bassin Levantin), elle vaut à peine un dixième de cette valeur.
Certaines mers régionales (Adriatique nord) sont pauvres en diversité, alors que d’autres (Tyrrhénienne nord) sont riches: c’est ainsi, la mer Méditerranée ne doit pas être considérée comme un ensemble homogène. Nous allons nous intéresser particulièrement au bassin occidental.
Écologie des cétacés en Méditerranée occidentale
Sur une surface de moins d’un million de kilomètres carrés et une étendue en latitude de moins de 1000 kilomètres, la Méditerranée occidentale nous offre une grande diversité de situations hydrobiologiques. Tempérée chaude avec certains caractères subtropicaux dans sa partie méridionale, elle devient progressivement tempérée froide au nord des Baléares.
Certains secteurs du bassin abritent des systèmes productifs, comme le front que crée le courant atlantique en entrant par le détroit de Gibraltar dans la mer d’Alboran ou celui que génère le courant ligure dans le nord-est du bassin. Des upwellings puissants sont aussi créés par les épisodes de Mistral-Tramontane dans le golfe du Lion.
A côté de ces zones biologiquement riches, nous rencontrons de grands secteurs où la biomasse planctonique reste faible : ainsi, le sud de la mer Tyrrhénienne et le sud du bassin central font figure de déserts aquatiques en été. Les caractères climatiques et hydrologiques génèrent des cas intermédiaires, comme en mer des Baléares ou au nord de la mer Tyrrhénienne.
En étudiant les peuplements d’euphausiacés, ces petits crustacés qui sont un élément important de la pyramide alimentaire en mer, on s’aperçoit que l’écosystème du large offre plusieurs variantes qui sont exploitées par les grands prédateurs. Mais les plus grandes inconnues subsistent en ce qui concerne la distribution et l’écologie des céphalopodes pélagiques (calmars), bien que l’on soit certain que ces animaux occupent une place de premier plan dans l’écosystème.
La moitié des espèces de cétacés du bassin occidental sont des gros consommateurs de calmars, à l’instar du Globicéphale et du Dauphin de Risso.
Au-delà de toutes leurs différences, nombre d’espèces animales du large partagent une caractéristique commune : elles pratiquent un mouvement vertical dans la colonne d’eau, qui les amènent durant la nuit dans les couches superficielles et le jour dans les profondeurs. Un des grands principes de l’écologie marine veut que l’on mange dans les niveaux supérieurs de son domaine et que l’on est mangé dans les niveaux inférieurs.
L’amplitude de cette « migration nycthémérale » et les niveaux atteints varient, mais on estime que la biomasse présente dans les cent premiers mètres de la colonne d’eau décuple durant la nuit. Les cétacés cueillent ainsi une bonne partie de leurs proies à la faveur des ténèbres : il est possible de s’en rendre compte en observant leur comportement et, pour les dauphins, en écoutant leurs émissions sonores.
Le bilan hydro-biologique de la Méditerranée occidentale milieu indique clairement que l’on doit trouver en été davantage de cétacés au nord et un peuplement un peu moins abondant au sud.
Des mouvements de migration saisonniers sont prévisibles entre les différents secteurs. A la différence des autres organismes marins, les cétacés sont capables de stocker énormément d’énergie sous forme de graisse et ont une longévité de plusieurs dizaines d’années. Grâce à leur diversité et à leurs étonnantes facultés, les cétacés tirent partie de toute la complexité de l’écosystème en exploitant les ressources à différents niveaux de la pyramide alimentaire : le gigantesque Rorqual commun puise pratiquement son énergie à la source en se nourrissant directement d’euphausiacés.
Le Cachalot et le Ziphius sont les seuls à pouvoir traquer les grands calmars à des profondeurs de 1000 à 2000 mètres. Ainsi, les différentes espèces occupent des « niches écologiques » très différentes et se concurrencent en fait assez peu.
Les petits delphinidés, à l’image du Dauphin commun, pratiquent la chasse en groupe et, tirent avantage de leur « biosonar » pour capturer des proies à forte valeur énergétique.
Les cétacés occupent des places à part dans un écosystème que l’on n’a pas encore découvert complétement: du grand Rorqual qui se nourrit de tout petits crustacés, au Dauphin commun qui est concurrencé par l’homme dans sa quête d’anchois et de sardines, en passant par le Grand dauphin opportuniste et le Ziphius plongeur de l’extrême, ils ont chacun trouvé une niche adaptée en Méditerranée.