Boulevard des Cachalots

Dernière semaine de prospection printanière pour le GREC

Après une deuxième semaine de mai entièrement gâchée par une mauvaise météo en mer, la semaine 21, celle de l’Ascension, se présentait sous de bons auspices du point de vue des prévisions.

Le Groupe de Recherche sur les Cétacés a réuni un équipage de quatre personnes, ce qui nous permet d’envisager une sortie avec une nuit en mer, si tout va bien. Mais d’abord, nous avons décidé de vérifier la fréquentation par les cachalots et les dauphins du ‘boulevard’ qui longe le talus entre Antibes et Port-Cros.

Vision singulière d’ Anacaona au ponton plaisance de Port-Cros, un mercredi soir de pont de l’Ascension de 2020 …

Le Parc National est en effet notre escale, en espérant que le pont de l’Ascension ne verra pas l’île envahie par les touristes nautiques et pédestres, déconfinement oblige. La descente du boulevard, assez proche des côtes, est plutôt tristounette, avec seulement un cachalot étudié (prédation enregistrée et individu identifié).

Une vue du boulevard des Cachalots, très fréquenté au mois de mai, avec deux des trois canyons les plus connus : la ‘tête de cheval’ de St-Raphaël et les Stoechades, entre le continent et les îles d’Hyères

Le jeudi, la météo n’est pas très propice à la prospection, avec un peu trop de vent le matin, aussi décidons-nous d’écourter notre manip sur le talus des îles et de profiter un peu du Parc National et de ses paysages.

Le sentier des Crêtes de Port-Cros offre quelques paysages marins magnifiques !

Le port est nettement plus bruyant que la veille, avec quelques nuisances (grosse vedette à moteur en jargon « grec ») au ponton, assorties de leur quota de viande saoûle. Heureusement que l’île est suffisament vaste, avec des sentiers encore peu fréquentés.

Vendredi 22 mai, la prévision météo a changé, avec au menu de l’après-midi et de la nuit une brise de SW 4-5, ce qui nous empêche d’aller étudier le large. Qu’à cela ne tienne, nous en profitons pour remonter le boulevard des Cachalots, côté extérieur cette fois, mais en embouquant le canyon entre les îles et le ‘continent’.

Notre premier cachalot de la journée, avec l’île du Levant en arrière plan … au Sud !

Première surprise, dès 08h15 un cachalot souffle devant le bateau : nous n’avons même pas encore dépassé l’extrémité Est de Port-Cros, et nous sommes en bout de canyon, sur une profondeur d’à peine 300 mètres.

L’animal n’est pas en phase de récupération inter-sonde, il semble plutôt se reposer en soufflant de temps en temps. Par contre, il montre de l’inquiétude : nous sommes encore à 400 m qu’il montre son museau, signe qu’il nous a entendus et qu’il nous surveille.

Il est juste venu manger au fond du canyon … ou admirer le paysage offert par le Parc National ?

Avec un peu de brise d’Est, nous manoeuvrons à la voile de manière à tenter de l’identifier, et aussi de l’approcher afin de vérifier s’il n’aurait pas un problème : filet de pêche ou blessure de collision. Apparemment non, le cachalot, d’une taille de 11 à 13 m est juste assez amaigri. Après que nous nous sommes éloignés à environ 500 m, l’animal plonge brièvement, puis ressort en s’orientant vers l’Est, effectue une séquence de respirations et sonde pour chasser.

Même si nous n’avons pu l’identifier correctement – il était trop inquiet -, nous reprenons notre route en ayant soin d’enregistrer sa sonde, pour vérifier ultérieurement s’il s’alimente normalement. Un cachalot normal réalise environ 25 captures, distinctes acoustiquement, pendant chaque sonde.

Les dauphins bleus et blancs aussi se sont enfoncés vers l’Ouest du canyon pour manger … et ils viennent dire bonjour à notre voilier

Un groupe de dauphins Stenella se signale peu après que nous avons terminé d’observer le cachalot. De ce groupe d’environ 25 individus se détache un sous-groupe de six individus adultes qui viennent nous rejoindre quelques minutes à l’étrave.

Ce Stenella ne veut pas démentir la réputation établie des dauphins ‘joueurs et bondissants’

Un peu plus tard dans la matinée, alors que nous continuons à sortir du canyon, et après avoir observé un grand groupe de dauphins très actifs, nous repartons sur la piste acoustique d’un cachalot, puis deux, qui nous amène tout à fait à l’embouchure du canyon, côté sud. Nous mettons pas mal de temps à le localiser, il y a plusieurs canots de pêche-plaisance dans le secteur.

Nous sommes ici parfaitement placés pour photo-identifier cet individu tout en le laissant effectuer tranquillement sa sonde de chasse

Après une sonde observée à 3 km, nous finissons par nous rapprocher de lui et nous nous plaçons idéalement pour le photo-identifier : il est 13h30 passé. Puis nous repartons vers l’Est en enregistrant sa sonde. Une petite brise de Sud nous permet d’avancer confortablement à la voile.

La caudale de l’individu est bien distincte et va permettre de le retrouver dans le catalogue bien fourni du Groupe de Recherche sur les Cétacés

Comme prévu, la brise fraîchit doucement pour atteindre un bon force 4 de SW qui nous permet de poursuivre notre remontée du boulevard à la voile, non sans détecter encore trois petits groupes de cachalots, mais cette fois acoustiquement simplement. Le logiciel Rainbow Click nous permet cependant de les localiser avec une précision suffisante. Le dernier groupe de trois se trouve vers l’Esterel.

Le logiciel Rainbow Click de l’IFAW permet de localiser les cachalots à longue distance, en utilisant leurs pistes acoustiques (ici 2 individus, un sur le travers avant, l’autre sur le travers arrière)

La nuit étant tombée, nous poursuivons notre prospection acoustique jusqu’au Cap d’Antibes. La dernière observation, des dauphins Stenella, est obtenue par acoustique également. Elle est suffisamment précise pour envoyer un équipier à l’étrave afin de confirmer visuellement la présence d’un dauphin ‘au contact’.

Ce graphe Rainbow Click montre les pistes acoustiques de 3 dauphins qui croisent notre travers, signalant que les individus sont très proches du voilier (le temps est l’axe des abscisses, les ordonnées sont les gisements des dauphins)

Il est 23 heures quand nous signalons au sémaphore de la Garoupe que nous avons terminé notre activité scientifique, juste avant de virer le Cap pour nous diriger vers le port. Belle journée de huit observations en 60 milles pour terminer une période de quatre semaines de prospection cétologique printanière.

Alexandre et cetaces.org

Remerciements : à la Préfecture maritime pour avoir rendu ces sorties possibles. Au sanctuaire Pelagos, pour son appui marqué.