Un animal a fait parler de lui la semaine dernière le long des plages azuréennes
En début de semaine dernière, c’est devant la Promenade des Anglais à Nice que ce jeune dauphin a été massivement remarqué. Pour cause, il était seul (ce qui peut arriver même à des animaux sains) et se déplaçait de manière atypique, réalisant des allers-retours le long du rivage et passant la quasi-totalité du temps en surface. D’après les premiers témoignages, l’animal reste cependant tonique, n’a pas voulu se laisser approcher par une embarcation des pompiers et ne fait aucunement mine de s’échouer. Des informations sont échangées dans le cadre du Réseau National Échouages auquel collabore le Groupe de Recherche sur les Cétacés, et nous restons attentifs à la situation, tâchant de discerner si la présence remarquée de l’animal reste dans les limites d’une observation « normale » (après tout, les alentours de la Promenade font partie de l’habitat naturel des Grands dauphins) ou s’il y a lieu de s’inquiéter et d’intervenir. Les témoignages plus ou moins concordants continuant à affluer, nous décidons en début d’après-midi de nous déplacer sur place, en compagnie de notre collègue Murielle de SOS Grand Bleu, afin d’observer à distance l’animal.
Il s’agit d’un Tursiops assez jeune (subadulte ou grand juvénile), nageant à quelques centaines de mètres de la rive et handicapé par une entrave ou par une flottaison excessive. Celle-ci le gêne dans ses déplacements et rend difficiles les sondes. L’animal pratique encore régulièrement des immersions de l’ordre d’une minute, peut-être pour essayer de se nourrir, et saute parfois lors de séquences énergiques, ce qui est bon signe. Après deux heures de surveillance depuis la côte nous laissons l’animal, qui passe le cap de Nice à la nuit tombante. Son problème de locomotion est inquiétant mais aucune intervention rapprochée ne parait judicieuse, le risque étant de faire plus de mal que de bien sur un animal encore alerte et mobile.
L’individu est à nouveau signalé mercredi par la réserve marine de Théoule-sur-Mer, où il parait affaibli et erre à quelques dizaines de mètres de la côte accompagné par quelques embarcations. Afin d’y voir plus clair, nous décidons d’aller faire une évaluation rapprochée de l’animal, en mobilisant nos moyens nautiques propres et particulièrement Wanaka, la vedette motorisée de l’un de nos membres. Le jeune Tursiops est effectivement dans un état un petit peu dégradé par rapport à lundi, il se déplace moins et ne sonde plus du tout. Il demeure cependant réactif aux évolutions des bateaux ou des nageurs, ne se laisse pas approcher à moins de cinq mètres et ne montre aucune tendance à s’échouer. Un examen physique rapproché (sans le toucher néanmoins) est effectué et ne montre aucune blessure externe, ni entrave dans un corps étranger. L’animal mesure un peu plus de deux mètres (donc est âgé de quelques années), a les flancs creux mais semble flotter en raison d’un gonflement anormal de son thorax, sans que nous ne puissions en diagnostiquer précisément la cause.
Il se laisse parfois guider un petit peu vers le large mais revient ensuite tranquillement vers la côte ; nous n’insistons donc pas, ce n’est pas un Stenella et ça n’aurait pas grand sens de pousser vers le large un Grand dauphin, espèce aux habitudes côtières. Devant ces constats, nous nous bornons ensuite à surveiller l’animal, et à assurer sa tranquillité en éloignant gentiment les quelques plaisanciers qui auraient voulu s’approcher excessivement de l’animal en difficulté (rappelons que la loi française interdit l’approche à moins de 100 mètres). Cela permet à l’animal, même si ses probabilités de survie ne sont malheureusement pas très bonnes, de conserver ses chances de guérison sans être inutilement stressé et de, peut-être, pouvoir retrouver ses congénères. Il n’y a d’ailleurs pas beaucoup d’autres options réalistes sur ce type d’animal : une procédure invasive, sur un animal ne voulant pas se laisser manipuler, aurait peu de chances de succès et risquerait au contraire d’être délétère.
Notre jeune Tursiops est ensuite observé sur les côtes varoises, avec un état apparemment stable, puis à nouveau remarqué dans les Alpes-Maritimes samedi matin. Le premier signalement du week-end nous laisse d’ailleurs un peu dubitatifs : une dame a signalé aux pompiers non pas un dauphin en difficulté en face de la plage, mais… deux ! Cet appel a-t-il un rapport avec notre animal malade, ou n’est-ce qu’une coïncidence ? Après quelques témoignages supplémentaires, il n’y a plus de doute, deux animaux sont maintenant concernés, et entourés par des vedettes.
En coordination avec les pompiers, nos collègues du réseau, les services de Cannes et du département, nous nous rendons donc sur place grâce à Wanaka, pour évaluer la situation. Nous trouvons les deux dauphins devant la Croisette, où une embarcation municipale essaie tant bien que mal de les écarter de l’axe des navettes, sous les yeux de quelques plaisanciers. Nous prenons le relais et observons les animaux : le jeune semble assez tonique, plus que mercredi, et profite même de la vitesse prise dans une vague pour effectuer une sonde. Il présente quelques lésions cutanées dues au soleil sur sa peau inhabituellement émergée, mais se déplace avec énergie. Le deuxième animal est un Tursiops adulte qui, en bonne santé mais peut-être désœuvré, semble avoir choisi d’escorter son jeune congénère malade !
Il est certes connu que les cétacés peuvent parfois faire preuve d’empathie vis-à-vis d’autres animaux en difficulté, mais la formation de cette association, en partie permise par la décision de laisser l’individu malade tranquille dans son habitat préférentiel, est néanmoins très intéressante. Celui-ci n’est pas pour autant tiré d’affaire, mais la présence d’un congénère pour lui tenir compagnie et peut-être le guider hors de certains mauvais pas est une bonne nouvelle.
Nous surveillons les deux animaux pendant l’après-midi, prévenant et écartant quelques plaisanciers indélicats. Le jeune progresse à 2-3 nœuds toute l’après-midi le long des plages du golfe de La Napoule, et l’adulte le suit en continuant à se nourrir au passage. Dans les zones calmes, ce dernier s’éloigne de plusieurs centaines de mètres, puis revient souvent serrer de près le malade dans les zones mouvementées et devant les sorties de port fréquentées.
Nous ne savons pas combien de temps durera l’association (les deux animaux étaient encore ensemble le lendemain), ni globalement comment évoluera cette histoire (la probabilité d’une guérison complète reste assez peu élevée), mais nous y resterons vigilants dans les jours à venir.
Depuis quelques années, le Groupe de Recherche sur les Cétacés engage parfois ses maigres moyens matériels pour porter assistance à des cétacés semblant en difficulté. Il s’agit en général de les sortir d’un mauvais pas ou d’une situation dangereuse, puis d’escorter l’animal afin que la loi en matière de tranquillité des cétacés soit respectée, et donc de maximiser la probabilité d’issues heureuses.
Nous sommes en général alertés par la nébuleuse RNE (dont plusieurs membres du GREC font partie à titre personnel sur la façade méditerranéenne et atlantique, disposant donc d’une dérogation officielle attestant de la faculté du correspondant à intervenir sur un cétacé sauvage mort ou vivant), et mobilisons nos moyens propres, notre bénévolat, et de plus en plus souvent le canot à moteur d’un de nos membres.
Non que l’État ne dispose pas de moyens très importants pour intervenir en mer, mais l’assistance à des cétacés en difficulté ne fait pas partie des prérogatives qu’il exerce. En zone côtière, ce sont le plus souvent des moyens municipaux sans compétence dédiée qui sont alertés, les sapeurs-pompiers étant évidemment impliqués dès qu’un cétacé s’échoue ou menace de le faire (dans le 06, le SDIS a même dans sa « panoplie » un Groupe de Sauvetage Animalier dédié), ainsi que, donc, les correspondants du RNE.
Bien que cette disposition du GREC à engager ses moyens propres ne soit inscrite dans aucun organigramme officiel, l’association se sent un devoir de le faire si elle le juge utile et qu’elle en a la possibilité. Surtout, s’agissant d’un cétacé évoluant en mer, nous pouvons nous appuyer sur 7000 observations en plus de trente années d’expérience, qui peuvent nous aider à évaluer si le cétacé présumé en difficulté se comporte de manière vraiment anormale, ou non. Si vous avez lu cet article jusqu’au bout, d’abord bravo, et puisque l’assistance aux cétacés en mer vous importe, rappelez-vous que malgré le bénévolat des membres du GREC, chaque intervention coûte de l’argent (entre 100 et 300 euros) et que l’association ne touche aucune subvention pour réaliser cette mission de ‘service naturaliste’. Alors… pourquoi pas nous honorer de votre soutien ?
Alexandre, Adrien et cetaces.org