Voir ‘1999 : rythmes de croisières’
Une fin de siècle couleur cétacés
C’est du côté de Tahiti que l’année commence, avec les premières sorties à bord du voilier Ou’a dès le 9 janvier. Le thème principal du premier semestre sera le dauphin Steno bredanensis. Ce qui n’empêche pas d’étudier avec persévérance le groupe de ‘long-becs‘ de la Baie des Pêcheurs.
Les Sténos vivent en Société
En effet, le programme de thèse de la jeune Kristi West demande des prospections supplémentaires, dont nous avons la charge. Tahiti, Moorea et les Iles-sous-le-Vent seront successivement visitées.
Au mois de mars, nous poussons jusqu’à Bora Bora, une huitaine de jours au total, où nous avons effectivement la chance de voir un groupe le long du lagon extérieur. Qui plus est, ces Sténos sont accompagnés d’une poignée de Tursiops.
L’affaire se corse au mois de mai: en effet, le programme d’étude comprend des expériences de taggage avec une balise-ventouse de type TDR (Time-Depth-Recorder). Le Sténo est un dauphin mal connu, et on ne sait pas à quelle profondeur il chasse.
Nous avons donc la tâche ardue de trouver des Sténos et d’amener l’équipe de taggeurs en bonne position pour placer la balise-ventouse, avec une perche. Les spécialistes du taggage viennent de Hawaii (tout comme Kristi West).
Plusieurs essais sont infructueux: des Sténos viennent à l’étrave, mais ces dauphins ne sont pas bien épais. Pour finir, une journée voit le taggage réussir: une balise est enfin en place …
Mais plusieurs dauphins du groupe se mettent à sauter comme des oufs, et quelques-uns se groupent autour du sujet de l’expérience. Surprise … après une minute et quelque de calme relatif, le dauphin taggé exécute une série de sauts acrobatiques … Nana, la balise.
Les pérégrinations de ce premier semestre nous ont permis d’observer 40 groupes de cétacés de six espèces, dont un groupe de Cachalots nains et trois de Globicéphales.
Profitant d’une mer sans vent dans le canal entre Tahiti-Moorea, nous tentons une mise à l’eau pour faire quelques photos de ces globis des tropiques. Mais bon, on ne s’éternise pas car ces animaux ont la réputation de traîner des requins parata dans leur sillage.
Les cétacés côté Méditerranée
C’est aussi un programme de thèse qui motive notre grande migration estivale en Méditerranée: celle de Violaine Drouot, sur le Cachalot. Nous avons la charge des prospections, nécessaires pour découvrir la distribution de la bête, et son abondance relative.
Dès le 19 juin, nous appareillons en direction du SE: on trace une grande ligne en travers de la mer Tyrrhénienne, vers le détroit de Messine. Hydrophone en service, bien sûr.
La moitié nord de la Tyrrhénienne est plutôt riche: dauphins, rorquals, ziphius, et surtout un joli groupe nursery de Cachalots, approchés et étudiés.
En plus des enregistrements et de la photo-ID, nous devons collecter des fragments de peau desquamée, qui seront exploités ultérieurement pour caractériser la population méditerranéenne de Physeter.
Messine franchi, nous bénéficions d’une belle météo pour traverser la mer Ionienne: là aussi, de nombreuses observations de dauphins Stenella dans la moitié ouest, puis plus grand chose.
Mais le but de cette prospection est de tirer le plus possible vers l’Est, dans un bassin que nous n’avons pas exploré, de la Crète à la Turquie. Les informations cétologiques sont très rares pour cette zone orientale.
Nous savons qu’au delà du Péloponnèse, de Cythère, nous allons avoir fort affaire avec le meltem, le vent du nord puissant qui souffle en mer Égée. Pour cette raison, à l’aller nous choisissons de naviguer sous le vent de la Crète.
Malgré l’aide de l’hydrophone, peu de cétacés sont observés: une paire de Ziphius, quelques Stenella, quelques Tursiops. Notre prospection jusqu’à Rhodes est vraiment peu fructueuse, mais quand même instructive.
Le meltem contrarie toujours énormément nos efforts: après moins d’une journée de repos à Rhodes, nous partons vers l’ouest, bientôt arrêtés 4 jours par ce coup de vent presque permanent. Un mouillage à Syrna nous accueille, les pêcheurs nous tiennent compagnie.
Heureusement que l’hydrophone fait son travail acoustique: nous ne détectons pas de Cachalot dans le sud de la mer Égée. Une paire de Delphinus vient agrémenter notre journée, à l’ouest de Cythère.
C’est finalement avec bonheur que nous remettons le cap à l’ouest puis au nord, pour retrouver la zone du Sanctuaire, moins exotique mais avec une abondance plus grande de cétacés.
Nous y travaillons jusqu’au 17 août, ce qui permet de réaliser un total de 111 observations sur 7 espèces en Méditerranée. Il nous aura fallu 48 jours de mer et 2012 milles d’effort effectif pour parvenir à ce total. Mais la Méditerranée orientale nous a malgré tout livré quelques secrets cétologiques.
Archipel des Marquises, le retour
La prospection Marquises 1 de décembre 1998-janvier 1999 nous avait laissé un goût d’inachevé; pour des raisons scientifiques il importait de répéter l’échantillonnage à une autre saison. Marquises 2 démarre le 22 septembre.
Grâce à Michel, nous pouvons bénéficier d’un très beau catamaran de 14 m (un Nautitech) loué à prix modéré à Moorea. Le temps de trouver un petit financement complémentaire … et déjà les équipiers arrivent à Tahiti. Retour vers les Marquises !
Céline, Sophie, Guido, Stéphane font partie de la première équipe … la navigation se fait sans escale, plutôt sur un mode transit car il y a pas mal d’alizé ! On se contente donc de faire avancer le bateau.
Cette fois, nous visons directement la partie la plus nord de l’archipel, Eiao et Hatutu, pour débuter notre prospection, le 30 septembre. Huit observations sur 4 espèces, pas mal pour une première journée.
Mais c’est après un ravitaillement à Nuku Hiva que l’on rentre dans le vif du sujet. La stratégie consiste à échantillonner d’abord le nord de l’archipel, avant une rotation d’équipage.
Nous nous offrons même une ‘bretelle’ jusqu’à Motu One, banc de sable un peu mythique à l’Est de Hatutu. Les observations de delphinidés sont nombreuses, avec peu de différence par rapport à Marquises 1.
On observe qu’il y a un peu moins de Péponocéphales qu’en décembre-janvier. Le 19 octobre, nous mettons le cap au sud, en direction de Ua Pou puis Fatu Hiva que nous touchons le 21.
Notre navigation autour de cette île mythique nous permet d’observer trois groupes de dauphins (long-becs et Tursiops). Y compris d’ailleurs au mouillage de la baie des Vierges.
Mais est-ce qu’il n’est pas un peu vrai que la contemplation de Fatu Hiva apporte autant de plaisir que la recherche des cétacés ? Pour une fois …
Dès le 23, nous repartons vers le nord, pressés par le timing des rotations d’équipiers. Dauphins à long bec, tachetés, Tursiops et Steno constituent l’essentiel de nos observations.
Nous contournons Hiva Oa, sans même toucher Atuona, préférant mouiller dans une baie sauvage au nord de l’île. On peut ainsi observer un groupe de Dauphins tachetés partir à la chasse, depuis notre mouillage.
La vitesse de notre catamaran nous permet d’atteindre Ua Huka le soir du 24, pour jeter l’ancre à l’ouest, avant la nuit. Un groupe de long-becs habite par là.
Il semble tout de même que les environs de la grande île de Nuku Hiva sont plus riches en cétacés que la moyenne … Réalité ou illusion ?
La dernière semaine d’octobre nous voit donc glaner les observations de dauphins, surtout long-becs et tachetés. Le vent se calme un peu, par rapport au début du mois.
Le 31 octobre, nous faisons une ultime observation de Dauphins d’Electre, qui décidément sont moins nombreux près des îles Marquises qu’en fin d’année.
Le calendrier nous impose de déjà repartir: nous appareillons vers Tahiti le 2 novembre. L’alizé plus faible, la mer moins agitée, nous permettent cette fois de prospecter pendant le retour.
Les immensités océaniques sont assez peuplées dans cette région. Ainsi, nous observons à la jumelle plusieurs groupes de delphinidés qui sont très occupés à chasser.
Et ce n’est pas un hasard si lorsque l’on fait bonne pêche on observe souvent des prédateurs supérieurs, tels ces Orques pygmées aperçus le 3 et 4 novembre.
Mais ils sont trop rapides pour que l’on puisse les approcher. La nuit, on entend parfois des souffles … on n’est jamais seuls très longtemps, dans cette mer !
Enfin, le 5 novembre, la chance et deux Pseudorques nous sourient. Une mère et son juvénile, qui s’approchent du voilier tranquillement. Impressionnant, la calme assurance de ce carnassier.
Latitude 14°, les Tuamotu approchent, cette fois nous avons prévu un arrêt dans un atoll que nous connaissons bien. Néanmoins, le calme de la fin d’après-midi n’empêche pas de mouiller deux ancres … pour veiller au grain !
Du 7 au 9 novembre, une navigation sans histoires nous amène à la presqu’île de Tahiti … où la saison des Mégaptères bat encore son plein, heureusement. Trois journées de prospection locale nous permettent d’atterrir en douceur …
Mais Marquises 2, c’est fini ! Huit espèces pour 80 observations, le bilan est conforme à nos attentes. Mais ce fut surtout une belle aventure pour tout le monde.
En cette fin de siècle, la Polynésie aura ainsi récompensé nos efforts par 145 observations sur 10 espèces … moyennant la bagatelle de 3700 milles parcourus et … 84 journées en mer …
… Pas toujours désagréables, il est vrai !
Alexandre et cetaces.org