Une nouvelle cétologue au Groupe de Recherche sur les Cétacés
Sept ans après le niveau 1 et cinq campagnes en Mer Méditerranée et Océan Atlantique plus tard, de Pelagos et Port Cros au Gouf de Capbreton en passant par la Péninsule ibérique, la cétologue en herbe que je suis poursuis au sein du GREC son apprentissage sur le terrain (de nœuds marins) de détection, d’observation et d’écoute des delphinidés, ziphiidés, et autres cachalots.
Patience, persévérance, adaptation sont les maîtres-mots de cette science naturaliste qu’est la cétologie, une discipline physique aussi. Car le terrain de jeu, c’est la mer ! Composition en vent mineur et petite houle : la météo réserve bien des surprises donc mieux vaut avoir une bonne assise sur ses jambes, un estomac bien cramponné et de la patience pour les heures passées en mer sans détection ou pour les journées passées au port à attendre une fenêtre de sortie (vive le Yaniv et les données à travailler !). Sans compter une bonne mémoire, une bonne audition et une bonne dextérité de la tablette (j’y reviendrai). Vouloir et aller en apprendre sur les cétacés, ça se gagne.
Regarder un cétacé, c’est une chose. Faire de l’observation scientifique, de la cétologie, c’est tout autre.
Bien sûr il y a des instants magiques, j’en ai plusieurs en tête : la première observation d’une espèce, le passage voulu de trois ziphius à quelques mètres du bateau après une observation de plusieurs heures, une baleine de Minke au petit matin en train de prédater en cercle dans les eaux foisonnantes portugaises, la luminescence du plancton sur les dauphins la nuit, leurs kaks dans les oreilles… Ou encore le premier quart seule (non sans une dose de stress mais fortement compensée par l’écoute des cétacés et la Voie Lactée).
Des moments magiques il y en a donc. Mais la cétologie sur le terrain, c’est surtout beaucoup, beaucoup d’heures avec un protocole strict : des paramètres à rentrer régulièrement, un effort de recherche en prospection, la fatigue de la mer à dépasser, des compétences de détection de cétacés à améliorer sans cesse, de composition de groupes à affiner, d’utilisation d’outils à maîtriser (PADOC – l’appli d’étude comportementale – sur la tablette, l’enregistrement à lancer au bon moment, en prospection ou en observation, le GPS pour savoir où on se situe, le sondeur éventuellement pour avoir la profondeur au lieu de détection). Et je ne me suis pas encore lancée dans la photo ID !
Mais l’apprentissage majeur est l’art d’observer
Après une trentaine de jours de prospection passés en mer et une dizaine d’espèces observées à bord de l’Anacaona (plus de 100 observations au compteur !), je peux dire que les protocoles de prospection, d’observation et d’écoute (et même quelques rudiments de voile) commencent à être bien intégrés. Et pour notre plus grand plaisir, ils se complexifient au fil du temps avec PADOC requérant en soi une assez bonne coordination vue, ouïe, dextérité du clavier et depuis peu réactivité quand le drone se joint à notre ballet de ceétologues en observation.
« Dauphins ! », « Souffle ! », « Aileron ! ». Et c’est parti. Rentrée des données de détection, distance, espèce, enregistrement à lancer, heure et position à noter, on ouvre PADOC ? Oui ? Non ? Moments de rush avec souvent une multitude d’informations et d’événement à mémoriser, à noter, à chronométrer parfois en un temps très court. Vive l’observation des cachalots qui peut nous apporter trois quarts d’heure de répit, quoique… Un petit virement et hop le compte des souffles est mis à rude épreuve malgré quelques contorsions pour ne pas perdre de vue Physeter macrocephalus.
Petit à petit, les étapes du protocole d’observation et les informations à mémoriser pendant l’observation se font plus aisément et ouvrent sur l’envie de mieux comprendre globalement la situation, ce qui est fait et ce qui est noté par les cétologues chevronnés de l’équipe. Et des questionnements viennent. Pourquoi on fait ça, pourquoi on note cette donnée, qu’apporte-t-elle à la connaissance actuelle ? J’absorbe toutes les infos. Moments privilégiés : les debriefs, le remplissage des fiches (si si), regards croisés de nos observations respectives, mise en lien avec la connaissance actuelle sur les cétacés et réflexions.
Je pourrais aussi parler de ces observations furtives par mer peu agitée que l’on ne peut suivre pleinement, concentré sur la zone à observer qui nous est assignée tant que les mots magiques « on passe en obs ! » n’ont pas été prononcés ; de ces observations où nous ne comprenons pas grand-chose à ce qu’il se passe en surface mais que la magie du drone va venir éclairer en dévoilant l’activité sub-surface des cétacés ; ou encore de tous ces signaux acoustiques à décrypter sur l’écran, pour certains inaudibles quand leur fréquence dépasse notre seuil de perception !
Un pied sur le pont, je pose depuis peu un pied dans les données, cet autre aspect essentiel du travail en cétologie et non des moindres. Et quand je n’ai plus dans les oreilles les tics, clics, kaks, bourdons et autres sifflements des cétacés, je reste à l’écoute du bruit du monde et des politiques environnementales, énergétiques, …, beaucoup moins mélodieuses, et malheureusement très insuffisantes en matière de protection des cétacés, pourtant sentinelles des écosystèmes marins et atouts pour le climat.
Psychologue de métier, passionnée depuis l’enfance par ces animaux sociaux complexes, notamment l’orque (dont je ne préfère pas trop – étonnamment – croiser la route ces derniers temps ha ha), je ne me sens pas totalement dépaysée en passant de ma pratique clinique, autre discipline de terrain, à celle de naturaliste. Pour acquérir des compétences solides, une fois un D.U. d’éthologie en poche, il me semblait indispensable de ne pas uniquement restreindre mon champ d’investigation à une localité ou une espèce mais d’ouvrir sur l’observation du plus grand nombre de cétacés. Et je découvris alors le GREC. Rares sont les associations à proposer un apprentissage tout en formant à une méthode de prospection rigoureuse et scientifique solide.
J’ai été bluffée par le niveau 1 intense sur le plan théorique. Ce n’est rien comparé à la richesse de la pratique de terrain et des navigations naturalistes qu’offre le GREC. Le GREC c’est une formidable opportunité d’être formé rigoureusement à la cétologie mais bien plus encore c’est une occasion en or d’investir une association de naturalistes et scientifiques qui ouvrent leur porte, initient avec une rigueur scientifique des passionnés qui veulent du terrain et partagent leur savoir-faire et leur connaissance rare sur les cétacés acquis depuis plus de 35 ans sur différentes mer du globe.
Le GREC c’est une aventure de vie qui vous gagne, dans laquelle on peut s’impliquer pleinement et longuement pour participer à l’effort de recherche et de protection des cétacés. Rare en ces temps. A chérir !
Catherine et cetaces.org