Un conflit d’usage dans le golfe de Gascogne
On sait depuis longtemps que le Dauphin commun et l’Humain ‘partagent’ les poissons du golfe de Gascogne : les humains pêchent de tout (plus de 100 000 tonnes chaque année), les dauphins ciblent particulièrement 4 ou 5 espèces de poissons ‘bleus’ sur le plateau du golfe, en particulier anchois et sardines. Quand l’Humain prend davantage, il en reste moins pour les dauphins, car si l’écosystème fluctue d’une année sur l’autre, il n’est pas extensible.
Bien que les humains prétendent gérer durablement les pêcheries au moyen d’indicateurs et de campagnes de prélèvements scientifiques (pour compter oeufs et larves de poissons, évaluer les biomasses), il le fait sur le mode ‘moi d’abord’ en affichant une cible de ‘gestion’ fondée sur ses prélèvements ‘soutenables’ de poissons, et non sur un mode écosystémique, visant à préserver un milieu naturel équilibré dans toutes ses composantes. Les dauphins sont donc censés trouver leur nourriture vitale parmi les ressources subsistant après que les humains aient pris la ‘part du lion’.
Chaque année, le CIEM (Conseil International pour l’Exploration de la Mer) publie des avis scientifiques sur les quantités de poissons pouvant être pêchées ‘durablement’, en fonction de l’état des stocks et des captures des années précédentes. La terminologie de ces avis est un peu compliquée pour des non-spécialistes : elle fait appel à des notions comme la biomasse limite de reproducteurs, en deçà de laquelle le renouvellement de la population est menacé, et la mortalité par pêche limite, au delà de laquelle le maintien de la population n’est pas assuré. Ces notions sont bien expliquées dans un document IFREMER de décembre 2022 (auteur A. Biseau).
Le croisement des données de biomasse et de capture estimées pour un ‘stock’ de poisson donné (un stock = 1 espèce dans une région) détermine différents cas, le stock pouvant être décrit comme ‘en bon état’ ou ‘effondré’ dans les cas extrêmes. L’avis sur la quantité de poissons pouvant être prélevée dans le ‘stock’ est déterminé par l’état estimé de la population l’année précédente (et celles d’avant). Cet avis du CIEM peut être suivi par une autorité nationale, ou pas, et appliqué par les pêcheurs, ou pas.
Malgré ces démarches scientifiques, les ‘stocks’ de poissons peuvent s’effondrer, comme ce fut le cas de l’anchois dans le golfe de Gascogne entre 2004 et 2009 : une ressource alimentaire essentielle pour le Dauphin commun disparut ainsi pendant 5 ans, avec des conséquences inconnues pour l’état de la population de cétacés. Curieusement, sur les graphes produits par le CIEM, on observe que les captures annuelles de sardine étaient inférieures à 20 000 tonnes jusqu’en 2007 et qu’elles dépassent ou avoisinent 30 000 tonnes depuis 2012.
La conséquence de cette surexploitation de la sardine a été un effondrement progressif du ‘stock’ de reproducteurs qui passa de 150 000 tonnes en 2001 à moins de 100 000 tonnes en 2012, puis à 50 000 tonnes environ en 2021 … un effondrement qui touche directement la population de dauphins du golfe de Gascogne. Ces dauphins qui hivernent sur le plateau du golfe ont de plus en plus de mal à trouver leur pitance favorite et sont conduits à des ‘pratiques à risques’ qui les exposent davantage aux captures par les pêcheurs. C’est certainement un des éléments-clefs du scénario qui cause la mort de milliers de dauphins chaque année.
Les méthodes classiques de gestion des pêches ayant largement démontré leurs insuffisances, il est plus que temps d’adopter des approches écosystémiques prenant en compte les AUTRES consommateurs de poissons, qui sont déjà validées par les chercheurs mais ne trouvent pas leur chemin jusqu’aux bureaux des décideurs. QUOI ? Les humains partageraient volontairement les ressources naturelles avec les dauphins ? … Plus qu’une évolution, sire, ce serait une REVOLUTION !
Alexandre et cetaces.org