Dans le golfe de Gascogne, une population-clé en danger
Parmi les ‘accidentés de la pêche’ du golfe de Gascogne (et de la Manche, pour le coup), il est une espèce dont on parle relativement peu et qui est pourtant en grand danger de régression, il s’agit du Marsouin commun (Phocoena phocoena). Le marsouin est victime essentiellement des innombrables filets posés sur les zones de plateau, où il est répandu en hiver comme en été.
La mortalité des marsouins est moins médiatisée car elle n’a pas le même caractère d’hécatombe spectaculaire que celle du Dauphin commun : en raison de leur population plus faible dans les eaux françaises, les marsouins s’échouent par dizaines chaque hiver, dans le golfe de Gascogne, et non par centaines. On en a dénombré 47 durant l’hiver 2019, et plus de 42 durant l’hiver 2020 (le comptage s’est interrompu le 17 mars à cause du covid).
Le marsouin est également moins médiatique car il n’a pas la ‘petite gueule bien sympathique’ (comme dirait Georges Brassens) des dauphins, et sa robe grise fait un peu terne à côté de celle d’un Delphinus ou d’un Stenella. Il est pourtant un hôte millénaire de nos eaux côtières : on en pêchait au Moyen-Age pour servir de viande lors du Carême (car il était considéré comme un ‘poisson’). Il entrait communément dans les ports (d’où son nom anglais, harbour porpoise).
Malgré sa ressemblance avec les diverses espèces de petits dauphins, le marsouin appartient à une famille totalement différente, celle des phocoenidés: sa tête, ses dents coupantes, permettent de le distinguer facilement de ses cousins, même à l’état de squelette. Sa biologie est aussi fort différente, avec une maturité plus précoce (environ 4 ans), une fécondité plus forte (on parle d’un jeune tous les deux ans, ou même tous les ans), et aussi une longévité plus faible (10 à 15 ans contre plus de 20-25 ans pour le Dauphin commun).
De plus, au niveau mode de vie, le marsouin est peu grégaire : on le rencontre en général par tout petits groupes (2 à 3 individus) ou même solitaire. Il chasse les poissons dans les eaux peu profondes (on le voit rarement dans le domaine océanique) en enchaînant des sondes de quelques minutes. Il est discret en surface, il saute rarement, ce qui fait qu’on passe facilement à côté d’un marsouin sans le voir dès qu’il y a plus de dix nœuds de vent.
Si l’on regarde une carte de distribution de cette espèce à l’échelle de l’Europe, on s’aperçoit que la mer du Nord est le domaine de prédilection du marsouin (des centaines de milliers d’individus). Sa population dans le golfe de Gascogne est évaluée entre 3 et 10 000 : en hiver il est dispersé dans toute la région, en été plus vers la Bretagne. La population de marsouins est assez abondante en Manche, avec environ 15 à 20 000 individus selon les prospections aériennes SAMM.
Pour quelle raison le golfe de Gascogne est-il très important pour la population de marsouins en Europe ? Parce que cette population fait la jonction entre celle de la péninsule ibérique, fortement menacée, et celle d’Europe du nord, qui fréquente aussi la Manche. Les marsouins de la région Gascogne assurent un brassage génétique et permettent la continuité du peuplement jusqu’à l’Europe du sud.
En effet, selon les avancées scientifiques récentes, l’espèce Phocoena phocoena en Atlantique nord-est se divise en populations, ou même sous-espèces, qui sont isolées depuis le réchauffement post-glaciaire. Ainsi la population ibérique serait proche de la population nord-africaine (Maroc, Mauritanie, Sénégal), elle-même isolée, et distincte de celle de l’Europe du nord. Les marsouins du golfe de Gascogne sont donc très importants du point de vue du maintien de l’espèce en zone ibérique.
Dans le golfe de Gascogne, en Manche, ce sont les fileyeurs qui capturent le plus les marsouins. Comme pour le Dauphin commun, les autorités connaissent mal la réalité de la mortalité. Au delà de l’aspect comptable de l’affaire (les ministères sont des adeptes des % de mortalité), des mesures énergiques s’imposent pour préserver ces petits cétacés. Dans la plupart des pays avancés, les autorités imposent que les filets soient équipés de balises acoustiques de signalement (une tous les 200 m, selon les directives de l’UE).
Les mesures de diminution de captures de marsouins dans les filets sont débattues et testées depuis la fin des années 80, en Europe. Que fait-on en France, à part de nouvelles expérimentations scientifiques, coûteuses et inutiles, pour la diminution des captures ?
Alexandre et cetaces.org