… Vers l’inconnu, pour le milieu marin
Nous y voilà : les projets d’électricité éolienne marine (EEM) ont quitté le domaine des infographies coloriées, des sites de communication gouvernementaux et des énergéticiens, sans oublier ceux de leurs influents promoteurs dans le milieu environnementaliste, pour arriver dans la vie réelle, en commençant par les travaux gigantesques que leur installation provoque.
Bien avant que le premier mégawatt-heure (1) soit produit, transporté et vendu, les habitants des régions concernées voient des ports se transformer, des gros navires bizarres accoster, des convois exceptionnels affluer, des entreprises implanter leur base. Bientôt l’urbanisation nécessaire pour loger tous ces nouveaux habitants. D’où une inquiétude, et même parfois une colère, vis-à-vis de ceux qui ont décidé cette transformation de leur environnement sans avoir expliqué les conséquences néfastes de ces nouvelles industries. Mais en ayant fait miroiter les avantages et bénéfices économiques de cette nouvelle filière industrielle.
Pourtant, ‘presque’ tout est décrit dans les documents hyper-volumineux qui ont nécessairement accompagné l’option politique de la massification de l’EEM, puis les choix des sites et l’attribution des marchés aux industriels, puis les évaluations des impacts de chacun des projets. Comme dans une grande démocratie aux mécanismes bien huilés où gouvernements, élus, administrations, industriels, associations œuvrent pour le bien de chacun d’entre nous… tout en veillant scrupuleusement à la ‘conservation’ de la Nature, cela va sans dire !
En fait, celles et ceux qui s’étonnent de ce qui est en train d’arriver à leur environnement ne peuvent pas arguer du fait que l’EEM est une filière nouvelle aux conséquences insoupçonnables puisque, on nous l’a assez répété, le France arrive sur ce sujet une décennie après plusieurs pays européens, le Danemark, la Grande-Bretagne, l’Allemagne, les Pays-Bas, la Belgique. D’où la forte impression que les opposants d’aujourd’hui (certains furent peut-être des promoteurs de cette filière il y a quelque temps) sont plus des adeptes du NIMBY (not-in-my-back-yard ou encore en français, ‘oui-mais-pas-près-de-chez-moi’) que de la défense de l’environnement ou de la Nature.
Au titre de l’environnement marin, faut-il s’étonner que le monde de la pêche soit vent debout, par exemple dans la région de Saint-Brieuc, alors que cette filière choyée entre toutes recevra 35% des taxes spécifiques générées par l’éolien marin? En fait non, car il y a loin, depuis une décision technocratique de fléchage de flux financiers vers une filière, jusqu’au patron de pêche qui vit depuis plus d’une génération grâce à une ressource marine bien précise, par exemple la coquille Saint-Jacques.
Le NIMBY des habitants du littoral ou les protestations du monde de la pêche ne seront pas le sujet de la série d’articles que cetaces.org va consacrer à l’EEM, car les communautés humaines peuvent toujours s’organiser et peser pour que des décisions qui les concernent soient infléchies ou changées (l’affaire des portiques routiers et des bonnets rouges n’est pas si loin !). En démocratie, le bulletin de vote a toujours un poids significatif.
Par contre, nous allons examiner les enjeux de la massification de l’éolien en mer français pour ceux qui ne votent pas et qui seront impactés au premier chef par les transformations du milieu marin induites par l’implantation de nombreux parcs éoliens off-shore : les cétacés qui vivent sur le domaine qui est préempté par l’humain pour ses besoins en électricité. En effet, les conséquences de l’anthropisation de dizaines de milliers de kilomètres carrés de milieu marin seront fortes en raison de l’importance des travaux industriels et des changements physiques apportés au milieu. De plus, ils sont en grande partie imprévisibles, car les impacts qui ont pu être constatés en mer du Nord ne peuvent être extrapolés à des écosystèmes aussi différents que ceux de la Manche, du golfe de Gascogne ou du golfe du Lion.
Le premier article de la série traitera du choix politique de la filière électricité éolienne marine pour porter une grande partie de la transition énergétique française. Déjà ambitieux dans sa version initiale, le projet français de développement de l’EEM viserait les 30 gigawatts installés, soit l’équivalent de 60 des parcs actuellement en construction, ou 30 sites d’une puissance de 1000 mégawatts, le prochain ‘standard’. L’essor maintenant prévu doit autant aux appétits des milieux économiques qu’à une demande de la Commission Européenne ; il est vrai que celle-ci, poussée par l’exemple des développements allemands en mer du Nord, voit maintenant les choses en grand : 60 gigawatts en 2030 et … 300 en 2050 !
La ruée européenne et française vers ce nouvel Eldorado en mer repose pourtant sur un pari plus que risqué : celui qu’une énergie intermittente (comme le vent) et non pilotable (comme le vent) pourra assurer avec le photo-voltaïque, intermittent et non pilotable lui aussi, une grande partie de l’approvisionnement électrique des habitants et des industries. Un pari impossible à tenir sans une importante énergie complémentaire : le gaz naturel (Allemagne, Bénélux), le nucléaire (France, Royaume-Uni), ou l’hydrogène (très énergivore à la production, il fait partie du mix énergétique futur !).
Premier article : l’éolien en mer, une bonne solution pour l’avenir énergétique du pays ?
(1) Pour les personnes éloignées depuis trop longtemps de leurs leçons de physique, rappelons un fait essentiel : l’énergie électrique qui est fabriquée et que l’on achète, le ‘kilowatt-heure’, est le produit d’une puissance par une quantité de temps. Une utilisation d’un convecteur d’une puissance d’1 kW pendant une heure aboutit à une consommation de 1 kWh, énergie que nous payons actuellement 10 centimes. Une éolienne de 3 MW qui tourne à pleine puissance pendant une heure fabrique 3 MWh d’énergie électrique, soit 3000 kWh. Etc…