Une vraie bonne solution pour le mix énergétique français ?
Le mix énergétique français et l’électricité éolienne marine
La France, on l’a assez répété, se caractérise par un mix énergétique unique en raison de la mise en service à partir des années 70 d’un parc électronucléaire très important, issu d’une filière industrielle maîtrisée progressant par palier. En 2019, sur les 547 TWh produits (document officiel), environ 70% sont issus du nucléaire, un peu plus de 13% de l’hydraulique et 7% pour l’éolien. Au-delà des polémiques, on peut rappeler que cette filière majoritaire est sûre en raison de son industrialisation poussée, et son contrôle par un producteur quasi-étatique permet de vérifier sa sécurité : les seuls incidents sérieux (gravité 4 sur 7) se sont produits à la centrale de St-Laurent-des-Eaux, la seule unité de type ‘graphite-gaz’ du parc, fermée depuis. Personne n’ignore que le principal défaut du nucléaire est de générer des déchets radioactifs dont certains demeurent non recyclables. En revanche, on oublie souvent que le défaut inhérent aux centrales thermiques est de produire beaucoup de chaleur, en général inutile (deux fois plus de chaleur que d’électricité, typiquement).
Si le mix énergétique français est unique en Europe, il est aussi à l’origine d’une surconsommation nationale d’électricité, cette énergie ayant été promue à l’époque en raison de la production surabondante, à assez faible coût et indépendante des cours du pétrole. Soulignons ce fait car le boom espéré d’une électricité ‘propre’ et ‘abondante’, celle de l’éolien en mer cette fois, s’accompagne à nouveau d’une prévision de croissance de la consommation électrique (+30% à l’horizon 2050). D’ores et déjà, l’Etat encourage l’équipement des logements en chauffage électrique (un usage aberrant de cette énergie noble), sans oublier bien sûr le cap mis sur les véhicules électriques.
Comme le photo-voltaïque, l’éolien est une énergie renouvelable intermittente et non pilotable. La génération d’électricité éolienne (EE) nécessite donc l’installation d’autres sources d’énergie électrique qui pallient son absence de production quand il y a peu ou pas de vent, en été comme en hiver. En clair, si vous avez installé 30 GW d’éolien marin et qu’il n’y a pas de vent sur le pays (anticyclone sur la France), soit vous importez l’électricité (si c’est possible), soit vous la produisez autrement, soit … on éteint la lumière ! Cette production d’électricité pilotable est avant tout thermique, que ce soit avec un combustible fossile (gaz naturel, charbon), décarboné (hydrogène), carboné renouvelable (bois, méthane), ou nucléaire.
A contrario, l’électricité éolienne produite en excès doit être stockée sous forme chimique (batterie, hydrogène) ou autre (barrage à cycle de pompage). Tout bilan de carbone impliquant l’EE doit impérativement inclure les moyens complémentaires de production et de stockage, sous peine d’être faux et tout bilan d’impact environnemental doit impérativement inclure les conséquences des moyens complémentaires de production et de stockage, sous peine d’être fortement sous-évalué, donc faux. Ainsi, les productions en mer d’hydrogène et d’ammoniaque sont actuellement développées (Royaume-Uni, Pays-Bas) et sont dans les cartons gouvernementaux, un corollaire de l’éolien marin pas toujours mis en avant au niveau de ses impacts environnementaux !
Par ailleurs, il faut garder à l’esprit que le boom de l’EEM allemand se conjugue avec une forte dépendance à l’énergie carbonée, le charbon actuellement, et de plus en plus le gaz naturel (massivement importé de Russie). Le cas de la Grande-Bretagne est particulier aussi : producteur d’hydrocarbures et développant fortement son EE marine depuis 2010, ce pays n’a pas fait de choix idéologique anti-nucléaire, contrairement à l’Allemagne. Aucun de ces deux pays n’a pris l’option d’une énergie 100% renouvelable et non nucléaire à l’horizon 2050. Si cette option est envisagée pour la France (rapport AIE 2021), c’est au prix d’énormes défis technologiques et logistiques, sans même parler du prix de l’électricité future (qui sera forcément une donnée du problème).
Les caractéristiques de l’électricité éolienne marine
En plus d’être intermittente et non pilotable, l’énergie éolienne a pour caractéristique intrinsèque d’être peu dense (peu de puissance disponible par km2). De très grandes surfaces sont nécessaires pour produire l’électricité : par exemple, si l’on prend un parc éolien marin de 496 MW, sa production annuelle prévue est de 1738 GWh, soir 23 GWh par km2 de surface au sol. A titre indicatif, une centrale nucléaire en service produit de l’électricité à raison de 9688 GWh/km2 (cas de Belleville, production annuelle moyenne). La centrale photo-voltaïque de Cestas (33), d’une puissance installée de 300 MW, se caractérise par une production surfacique de 140 GWh/km2, compte tenu de l’ensoleillement moyen. L’énergie électrique solaire est donc plus ‘dense’ que l’énergie éolienne.
Par rapport à l’Allemagne et à la Grande-Bretagne, la France se distingue par un potentiel éolien moins favorable (vitesses de vent plus faibles), et par un potentiel photo-voltaïque supérieur (meilleur ensoleillement). En plus des contraintes de moindre rentabilité, le développement de l’EEM en France doit intégrer des contraintes physiques liées à la bathymétrie: les profondeurs supérieures à 50 m sont atteintes assez vite, en Méditerranée, dans le golfe de Gascogne, et même en Manche Ouest, ce qui invalide en grande partie la technique de l’éolien marin posé (à moins de disposer les éoliennes près des côtes, ce qui ne susciterait pas l’enthousiasme des habitants).
Au-delà de 2025, l’objectif gouvernemental de 500 MW installés annuellement se heurtera à ces contraintes liées à l’espace disponible : la technologie des éoliennes flottantes doit être validée (deux parcs expérimentaux actuellement en phase d’installation) et mise en place à grande échelle pour utiliser l’espace marin disponible. Installer une puissance de 500 MW nécessite une emprise de 100 km2 sur l’espace marin (par exemple une bande de 5 km sur 20 km), sans parler des centrales électriques qui devront de toutes façons pallier l’intermittence de la production éolienne.
L’efficacité de production de l’électricité éolienne est de l’ordre de 20-25% (sur terre) à 40% (en mer), car les vents sont couramment inférieurs à 20 km/h, seuil en deçà duquel une éolienne ne produit pas, et souvent inférieurs à la vitesse de rendement optimal de l’hélice (variable selon sa conception). Ce rendement décroît très rapidement lorsque la vitesse du vent diminue (comme le carré de cette vitesse), par conséquent, l’énergie électrique vraiment produite sur une année est très inférieure à la capacité installée sur les générateurs. Par exemple, une centrale comme celle de Saint-Brieuc (496 MW installés) produirait 4345 GWh par an dans un monde éolien idéal, mais seuls 1740 GWh en sortiront en réalité chaque année (selon des prévisions officielles…).
Les inconvénients de l’électricité éolienne marine ayant été énumérés, il convient d’en rappeler les avantages : une fois installées, les éoliennes ne génèrent pas de CO2 (à l’exception de l’activité de maintenance) et, fait rarement cité, contrairement à toutes les centrales thermiques (y compris les futures unités à l’hydrogène), l’éolien ne génère pas de chaleur. Il est donc justifié d’inclure l’éolien, y compris marin, dans le mix énergétique d’un pays, ou du moins d’une région où le contexte environnemental est favorable.
Cependant, le développement à marche forcée de l’éolien marin jusqu’à un objectif de très forte production est extrêmement vorace en espace marin, il se heurte à des contraintes logistiques et économiques sévères, il ne résout pas le problème de l’intermittence non pilotable de l’énergie éolienne.
Avant même d’aborder le sujet des impacts générés sur le milieu marin, la massification de cette filière pour en faire une source d’énergie électrique majeure apparaît clairement comme une solution boiteuse pour la sécurité énergétique de la France.
Alexandre et cetaces.org